en derniere
ressource.
--Si tu veux.
Cependant elle ne realisa pas cette menace. Sa delicatesse
l'avertissait de ne pas augmenter les soucis de nos parents en pleine
bataille contre le fleau. Elle redoubla au contraire d'attentions pour
moi, s'efforcant de me ramener, d'obtenir mon amitie, ma confiance.
Avec un art inne, elle s'improvisait mere de famille, cherchait sans
cesse a nous reunir, a nous grouper, combattait l'isolement ou je me
complaisais. Des qu'une lettre nous parvenait, elle nous appelait pour
nous en donner lecture a haute voix. Nous en recevions de la ville
tres regulierement, et l'on nous transmettait celles de Melanie, vouee
dans un hopital de Londres au service des malades, de Bernard en
expedition au Tonkin, d'Etienne qui terminait a Rome ses etudes de
theologie. Par ses soins les absents nous visitaient, et s'il n'avait
tenu qu'a elle, nous eussions retrouve a l'Alpette la meme vie qu'a la
maison. C'etait precisement ce qui me revoltait, et je m'insurgeais
contre cette volonte de vingt ans qui contrecarrait la mienne avec une
tenacite inattendue.
Pour me soustraire a son influence, je pris l'habitude de quitter
notre chalet des le matin avec un livre et de n'y rentrer que pour les
repas. Inquiete, elle demeurait sur le pas de la porte jusqu'a ma
disparition, et a mon retour, bien souvent, je la retrouvais a la meme
place, comme si elle ne m'avait pas perdu de vue. Son inquisition
s'etendait jusqu'a mes lectures. La bibliotheque de l'Alpette ne se
composait que de quelques ouvrages: un Buffon et un Lacepede
depareilles, un _Dictionnaire de la conversation_ en cinquante
volumes, un _Jocelyn_ et je ne sais quoi encore de moins important. Le
_Dictionnaire_ meme ne m'effrayait pas et j'emportais resolument les
notices consacrees a la biographie et aux systemes des philosophes.
J'etais a l'aise dans leurs conceptions les plus hardies ou les plus
obscures. Je les comprenais avant d'en avoir acheve la demonstration,
qu'elles soumissent l'univers au _moi_ ou qu'elles assujettissent
l'homme a cet univers livre a lui-meme. Cependant j'etais porte a
croire que tout dependait de notre intelligence et qu'elle seule, par
sa puissance, insufflait l'etre aux choses dont elle fixait les lois.
Je n'ai jamais pu retrouver tant de facilite a me mouvoir dans
l'abstrait, ni tant de plaisir, ni tant d'orgueil.
Un peu epuise par ces aventures de metaphysique, je me desalterais a
la poesie de _Jocelyn_. Elle s'har
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