eme, etait plus confortable. Je me retournai
souvent pour mieux emporter l'image de cette vallee ou dans la
solitude j'avais rencontre tant d'emotions creees par moi-meme et
comme une sorte de bonheur ou les autres n'avaient point de part.
Assise a cote de moi, Louise ne rompait le silence que pour se pencher
vers le siege et prier doucement notre vieil Etienne:
--Ne pourriez-vous pas aller un peu plus vite?
--Oui, mademoiselle, repondait-il, on essaiera. La Biquette est comme
moi, ca n'est plus bien jeune.
Il montrait sa jument, et du fouet lui enveloppait les flancs sans se
decider a la frapper. A mesure que nous approchions de la ville,
l'inquietude de ma soeur augmentait et finissait par me prendre. Elle
me repetait son: _J'ai peur_ contagieux. Le bon soleil d'octobre qui
nous chauffait sur notre banc me permettait mieux de lutter contre un
pressentiment aussi absurde.
Enfin nous arrivames devant la grille. Personne ne nous attendait.
Tant de fois, a cette place, j'avais trouve mon pere qui interrogeait
le chemin et qui, des qu'il nous apercevait, nous accueillait de sa
parole, de son geste, de toute sa joie paternelle. Je regardai la
fenetre; derriere le rideau, l'ombre habituelle n'apparaissait pas.
Alors, pour la premiere fois, je connus que nous etions tous menaces.
Ma mere, des qu'elle fut informee de notre retour, descendit pour nous
recevoir. Louise, sans un mot, se jeta dans ses bras. Par une
intuition parallele, bien naturelle a des ames qui se ressemblent,
elles s'etaient comprises. Je demeurai a l'ecart, ne voulant pas
comprendre, me refusant a admettre la possibilite meme d'un desastre
qui ne me laisserait pas le temps de jouer, au jour de ma convenance,
le role de l'enfant prodigue. Ma mere vint a moi:
--Il parle surtout de toi, me dit-elle. Dans son delire il t'appelait.
De cette prerogative je fus atterre. Pourquoi parlait-il surtout de
moi? Pourquoi etais-je sa preoccupation principale et --j'allai d'un
coup jusque-la, bouleverse de ma sacrilege audace --peut-etre sa
derniere preoccupation?
--Maman, criai-je enfin, ce n'est pas possible!
Mais je regrettai aussitot cet elan involontaire. Ma mere etait la
vivante preuve que le danger n'existait pas, ou du moins pas encore.
Sans doute je remarquais ses yeux cernes et ses joues blanches. Elle
portait la trace des nuits de veille. Mais cette fatigue, dont elle
livrait le detail par chacun de ses traits, etait neanmoins comme
inexistant
|