les miseres de l'hopital
ou elle sert, epuise sans doute son propre chagrin, et Bernard, a
distance, a, d'un bref cablogramme ou nous avons pu mesurer son
attachement, accuse le coup. Nous autres, les restants, nous pouvons
nous compter comme des blesses apres la defaite.
La cloche a sonne et il nous faut gagner la salle a manger. Voici
grand-pere qui rentre de sa promenade: il s'est courbe et casse, il
s'appuie sur sa canne, et il se plaint, sans que je puisse en savoir
la cause. Quelque chose lui manque, qu'il s'explique mal a lui-meme:
--Ah! soupire-t-il, essouffle, j'ai cru que je n'arriverais jamais
jusqu'a la maison.
Il s'exprime comme nous nous exprimions quand nous etions petits. Mais
avons-nous cesse de dire: la maison? Je le vois si faible et si
vieux, et ne me souviens plus que jadis il m'emmenait dans les bois et
sur le lac, du temps ou nous allions bien tranquillement tous les deux
a la conquete de la liberte. Depassant la mesure dans ma
transformation, voici que je l'observe, avec une commiseration
excessive qui est presque du mepris.
Oui, quand les soldats sont aux remparts, la ville, n'est-ce pas?
argumente et discute; elle discute et argumente sur l'utilite des
fortifications et des armes, et leur destruction lui parait un jeu.
Mais s'il n'y a plus de troupes et si l'ennemi est aux portes? Ainsi
pouvions-nous parler de nos desirs et de nos reves, et de la cite
future, et surtout de notre chere liberte. Nous le pouvions, et
maintenant nous ne le pouvons plus, parce que personne ne nous defend
et que nous sommes face a face avec la vie, avec notre propre
destinee. Il n'est plus, grand-pere, celui qui pour toute la famille
montait la garde aux remparts.
Tante Dine acheve de mettre le couvert. Elle est bien agee pour
s'imposer tant de tracas, du matin au soir, et jamais elle n'a de
repos.
--Laissez donc, ma tante, ce n'est pas votre affaire.
Mais elle proteste et _gongonne_, et se met a pleurer tout fort:
--Il ne faut pas me priver de m'occuper. J'ai moins de peine quand je
travaille.
Est-ce que j'ignore, d'ailleurs, qu'on ne maintiendra a l'office que
Mariette, parce que notre situation est changee? Chacun de nous devra
y mettre du sien, et tante Dine, a son habitude, prend de l'avance.
Louise n'a plus sa gaiete. Elle entre, en tenant par la main sa soeur
Nicole qu'elle protege. Pourquoi donc est-ce que je regarde leurs
cheveux blonds avec plus de tendresse? Songerais-je deja a leur
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