ee desormais a un
anneau de fer: elle ne dependrait plus de ma fantaisie. Je ne
tendrais plus vers les mirages du bonheur que des mains enchainees.
Mais ces chaines-la, tout homme les recoit un jour, qu'il monte
effectivement sur le trone ou que son empire ne soit que d'un arpent
ou d'un nom. Comme un roi, j'etais responsable de la decadence ou de
la prosperite du royaume, de la maison.
A quelques jours de la, puisque je commencais mes etudes de medecine,
je dus partir, moi aussi, momentanement. Cet eloignement me dechirait
: dans le zele de mon role nouveau, je voulais croire ma presence
indispensable a ma mere. N'etait-elle pas toute brisee par la perte de
celui qui etait sa vie? Son calme, pourtant, m'etonnait, et aussi la
clarte de son jugement, et cette mysterieuse autorite nouvelle que
chacun sentait. Aux obseques, Martinod avait sollicite l'honneur de
prononcer un discours pour rappeler aux assistants le devouement de
mon pere, et elle s'y etait refusee. Pourquoi decourager cet
adversaire repentant? J'aurais volontiers emis un avis contraire. Et
peu apres nous apprimes que Martinod, songeant a reconquerir la
mairie, avait compte pour sa popularite sur cette exploitation de la
mort. Les _ils_ de tante Dine ne desarmaient pas. Ils ne desarmaient
jamais. Le foyer avait ses vigilantes gardiennes qui ne se laissaient
ni duper ni endormir.
Cependant elles seraient bien seules toutes les deux, avec Nicole et
Jacquot. Grand-pere ne pouvait plus compter. Il declinait maintenant
de jour en jour. Lui qui avait affiche tant d'horreur pour les
clotures, s'informait presque chaque soir si les portes etaient bien
fermees au verrou. Que craignait-il? Une fois, comme il sortait d'un
demi-sommeil, il reclama son pere avec insistance. Tante Dine l'en
reprit un peu rudement:
--Tu sais bien qu'il est mort depuis trente annees.
A notre stupefaction, il repliqua aussitot:
--Mais non, pas celui-la, l'autre.
--L'autre? que veux-tu dire?
--Celui qui etait la tout a l'heure.
Et il montrait la direction du cabinet de consultation.
Nous comprimes alors que son cerveau commencait de brouiller les
generations. Il sentait bien qu'un appui lui manquait, et mon pere,
tout naturellement, etait devenu son pere.
Tres trouble par cette confusion, je me montrai plus juste envers lui.
Nous avions perdu ensemble l'empire de la liberte.
La veille de mon depart, j'avais rejoint ma mere dans sa chambre. Je
desirais de lui apporter
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