a maison et que je ne
pouvais pas chasser celle qui etait la, devant moi, celle qui ne
sortirait plus, celle qui montait sans bruit et dont personne ne
soupconnait la presence reelle.
Ce que j'avais entrevu sans l'admettre encore, voici que j'en
comprenais le sens veridique, l'irreparable. Ce vieux pauvre begayant
avait dit: _c'etait un homme_. Il parlait de mon pere au passe, il
parlait de mon pere comme si mon pere n'etait plus. Et cette presence
invisible qui avait profite de la porte ouverte, c'etait donc la mort.
Pour la premiere fois elle m'apparaissait agissante, pour la premiere
fois --il n'y a pas d'autre mot --elle m'apparaissait vivante.
Jusqu'alors je n'avais pas attache d'importance a ses actes. Et, dans
mon horreur et mon impuissance, je laissai pendre mes bras inutilement
le long de mon corps. Autrefois, quand nous etions menaces de perdre
la maison, j'etais ne au sentiment inconnu de la douleur, je naissais
maintenant au sentiment de la mort. Et la cruaute de la separation, je
l'eprouvais avant qu'elle ne s'accomplit.
Comme autrefois, je m'enfuis dans le jardin ou la nuit m'avait precede
et je me couchai sur la pelouse. La terre etait froide et semblait me
repousser. Le vent, qui s'etait leve, tordait les branches des
chataigniers. Elles craquaient en poussant des plaintes. Un des arbres
surtout, celui de la breche, ne cessait pas de gemir et je m'attendais
a le voir tomber. Je me rappelais ceux que j'avais vus apres un orage,
dans la foret de l'Alpette, etendus sur le gazon, et si longs que de
leurs racines a leur cime l'oeil s'etonnait de les mesurer. Et je me
rappelais encore cette gravure de ma Bible qui representait les hauts
cedres du Liban, gisant sur le sol: ils etaient destines a servir a
la construction du temple de Jerusalem.
Et apres les arbres, comme les poutres de la toiture grincaient, ce
fut l'ecroulement de la maison que j'attendis. Qu'y avait-il
d'etonnant a ce qu'elle s'ecroulat, puisque mon pere mourait?...
IV
L'HERITIER
Ces douleurs-la ont leur pudeur, et je jetterai sur la mienne un
voile...
Je reprends donc ce recit au moment ou la vie ordinaire recommence. Le
premier repas de famille en consacre la continuation, apres qu'ont
cesse les allees et venues de parents et d'etrangers, et tout le
desordre apparent qui accompagne les deuils. Mon frere Etienne,
accouru de Rome, est reparti pour y achever ses etudes theologiques.
Melanie, en se penchant davantage sur toutes
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