n peu febrilement, le retour du fermier que nous interrogions. Ce fut
Louise qui porta la parole:
--Pere est malade, n'est-ce pas Etienne?
--Ah! mademoiselle, c'est un grand malheur.
--Est-ce qu'il a pris le mal?
--Ce n'est pas le mal qu'il a pris, c'est un chaud et froid.
Notre Louise se remit a verser des larmes. Elle appelait mon pere
comme s'il pouvait lui repondre. Nous dumes la consoler, non sans
blamer ses exces, et le fermier lui-meme s'en mela.
--La demoiselle a tort. Monsieur Michel est solide. Il y en a d'autres
que lui qui ont pris des chauds et froid et qui sont aujourd'hui gras
et luisants.
Qu'il y eut un danger veritable, la pensee ne m'en effleurait pas. Mon
egoisme m'empechait d'y croire. Quel absurde pressentiment tourmentait
cette pauvre Louise! Je revoyais mon pere, la, devant le portail,
avant que la voiture ne s'ebranlat. Son panama, un peu de cote,
projetait une ombre sur la moitie du visage. L'autre, en pleine
lumiere, resplendissait de vie. Il donnait des ordres brefs et hatait
l'amenagement, parce qu'on l'attendait a la mairie. Comme il savait
commander et comme on se precipitait pour lui obeir! Moi seul, j'avais
resolu de me derober a son pouvoir, a son ascendant. Il se tenait
droit comme un chene de la foret, un de ces beaux chenes sains qui ne
perdent leurs feuilles qu'a la poussee des feuilles nouvelles et que
la tempete ne reussit pas a ebranler: au contraire, il se herissent
et l'on dirait qu'ils se durcissent pour lui resister. J'entendais
aussi sa voix qui sonnait, sa voix qui disait: _En avant_, comme a la
bataille. Que cette force fut vaincue, je ne pouvais l'admettre. Sur
cette force-la je comptais, j'avais besoin de compter, afin d'avoir le
temps plus tard, si je le jugeais bon, et ma liberte conquise, de
revenir de mon plein gre en arriere pour temoigner a mon pere un peu
de tendresse. Pourtant je me souvins du jour ou je l'avais entendu
formuler, dans la chambre de ma mere, une plainte a mon sujet: _Cet
enfant n'est plus a nous..._ Mais je ne m'y attardai pas. Non, non, il
ne fallait rien exagerer. Ma mere nous rappelait parce que l'epidemie
decroissante n'offrait plus aucun danger, et parce que mon pere,
malade, serait satisfait de nous revoir: elle nous rappelait pour ces
raisons-la, et non pour une autre...
Nous descendimes le lendemain matin, Louise et moi sur le char du
fermier, grand-pere et les deux petits, un peu plus tard, par la
diligence qui, tout de m
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