ais pas au juste. Cependant j'avais bien entendu, et apres un
instant d'hesitation le sens de cette phrase cessa de me paraitre
mysterieux. Je pouvais y voir un temoignage de confiance dans le passe
: mon pere n'avait pas admis ma trahison, mon affranchissement, il
etait sur que je lui reviendrais, il comptait sur moi. Mais dans sa
forme d'outre-tombe elle signifiait bien autre chose dont je fus
bouleverse: c'etait la couronne royale de la famille que mon pere
tendait a ma faiblesse en m'invitant a la porter apres lui, puisque je
serais sur place son continuateur, son heritier. A cela je n'avais
point pense.
Ma mere comprit-elle l'emotion qui me courbait les epaules et me
brisait? Elle m'assura que j'avais besoin d'une collation apres ma
longue course au grand air et m'accompagne jusqu'au seuil.
--Valentine, murmura le malade.
--Mon ami, je ne te quitte pas.
Et elle m'abandonna pour aller a lui.
Mais je ne sortis pas de la chambre, et j'assistai a un drame quasi
muet, obscur en apparence et dont l'eloignement n'a fait qu'augmenter
la clarte pour moi.
Mon pere commenca par cette invitation:
--Ecoute.
Il ne regardait personne a ce moment-la; ses yeux se fixaient au-
dessus de lui, au plafond. Cependant il ne se pressait pas de parler:
il se recueillait. J'etais dans une angoisse sans nom. Je devinais que
ma presence l'avait ebranle et qu'il rassemblait ses idees sur la
destinee de la famille. Ce qu'il allait dire a ma mere, ce seraient
ses dernieres volontes sans nul doute. N'avais-je pas le droit de les
entendre, puisque _mon tour etait venu_?
Ma mere, aussi, l'avait devine peut-etre. Elle se tenait au bord du
lit, penchee, et le drap qui pendait, ou son genou s'appuyait, remuait
un peu. Je suis sur de l'avoir vu remuer: etait-ce ce genou qui
tremblait? Et puis, je ne vis plus qu'un visage.
Mon pere continuait de se taire. Je percevais la plainte monotone de
la fontaine dans la cour. Ma mere, tendrement, le pressa:
--Mon ami, mon cher ami...
Il etait en pleine lucidite. Il _avait suivi lui-meme la marche de son
mal_, il savait exactement ou il en etait.
Alors il parut sortir des pensees ou il s'abimait. Il tourna un peu la
tete et regarda ma mere de ce regard un peu terrifiant, qui etait trop
profond.
--Valentine, repeta-t-il simplement.
--Tu avais quelque chose a me dire?
Avec une infinie douceur il murmura:
--Oh! non, Valentine, je n'ai rien a te dire.
Il avait voulu, j'en sui
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