cheres;
ils s'interessaient a cette conversation qui tournait presque au
monologue, et plus tard j'ai retrouve sur eux l'empreinte de cet
enseignement dont ils ont tout naturellement beneficie, tandis que j'y
voulus etre refractaire. Quelquefois, je retrouvais dans la voix,
soudain plus imperieuse, cet accent qui, dans un jour fameux, m'avait
secoue jusqu'aux moelles, et je m'attendais a l'entendre comme alors:
_Mais comprends-moi donc, pauvre petit! Il faut bien que tu me
comprennes. Il y va de ton avenir..._ Puis la voix irritee se
moderait, ou bien elle se taisait. Mon pere avait mesure l'inutilite
de sons insistance.
Je savais aussi me derober affectueusement aux sollicitations de ma
mere, qui recherchait mes confidences et qu'affligeait ma tiedeur
religieuse:
--Tu ne pries pas assez, me disait-elle. Tu ne sais pas comme c'est
necessaire. C'est ce qu'il y a de plus vrai au monde.
Cependant j'avais habilement reussi a me rapprocher de grand-pere sans
eveiller de soupcons. Nous faisions de la musique ensemble. Il
tremblait un peu, et son violon semblait chevroter. Ou bien nous
discutions des heures entieres sur une sonate ou une symphonie. Ainsi
l'avais-je admire jadis, au Cafe des Navigateurs, s'isolant avec Glus.
Si l'un ou l'autre voulait se meler a notre conversation, nous le
toisions avec impertinence comme un profane incapable d'un avis
serieux. La musique ne pouvait avoir de signification que pour nous:
elle nous appartenait et par elle nous retablissions notre ancienne
intimite.
J'atteignis ainsi le debut de ma dix-huitieme annee, lorsque survint
l'evenement qui devait decider de ma vie. Les baccalaureats m'avaient
couvert d'honneur, et je me preparais a l'Ecole Centrale depuis un an,
sans une attraction particuliere, et meme avec un detachement parfait.
Un certain gout pour les sciences naturelles, volontairement delaisse,
avait quelque temps donne a mon pere l'illusion que je reviendrais a
mes projets d'enfant et le continuerais lui-meme un jour. Mais j'avais
choisi la carriere d'ingenieur parce qu'elle me separait de la maison
et que j'y serais mon maitre...
Lorsque nous annoncions notre retour, la premiere silhouette que nous
ne manquions jamais d'apercevoir sur le quai de la gare, c'etait celle
de mon pere accouru a notre rencontre. La paternite, veritablement,
illuminait son visage. Moi, je le saluais comme si je l'avais quitte
la veille, mais il ne se laissait pas rebuter et m'ouvra
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