si mon fils sera le premier a me desobeir.
Et il me laissa. Il avait parle si peremptoirement que j'eus le
sentiment de l'impossibilite d'une resistance. Des longtemps il me
menageait. A ma reserve, il me pressentait indifferent, sinon hostile,
et il caressait le reve de retrouver ma confiance. Voici qu'il
abandonnait tous les moyens de conciliation et me replacait dans le
rang, comme un simple soldat, non pas meme comme un futur chef. Sans
tenir le moins du monde a prendre du service actif parmi les
ambulanciers, je rongeai mon frein avec rage, comme si j'avais subi la
plus cruelle injure. Grand-pere, que cette solution satisfaisait, me
consola avec bonne humeur:
--Oh! oh! que veux-tu? il a la manie d'ordonner. Nous serons tres bien
la-haut.
Nos preparatifs occuperent l'apres-midi. Grand-pere descendit lui-meme
de la tour son barometre, son violon, ses pipes et ses almanachs. Ces
divers voyages l'essoufflerent, mais il n'ecoutait personne. Le reste
du chargement ne l'interessait pas et concernait tante Dine, a qui, de
tout temps, il avait abandonne le soin de son linge et de ses habits.
A la tombee de la nuit, l'abbe Heurtevent vint en visite. Mon pere
etait a l'hopital ou a la mairie, et ma mere a son ouvroir ou l'on
preparait des couvertures pour les malades pauvres. Grand-pere, avec
une vigueur de resolution toute nouvelle, refusa d'ouvrir la porte et,
de la fenetre, s'informa si notre ami avait ete desinfecte.
Force fut a l'abbe de passer a l'etuve que l'on avait installee a la
maison, apres quoi il fut accueilli gaiement, et meme grand-pere lui
offrit son exemplaire des propheties de Michel Nostradamus. M.
Heurtevent accepta le cadeau sans enthousiasme: il connaissait les
Centuries et les estimait obscures et contradictoires.
--Oui, vous preferez la soeur Rose-Colombe et l'abbaye d'Orval. Et
quelles catastrophes nos apportez-vous, l'abbe?
--D'abord, votre ouvrier Tem Bossette est decede ce matin du fleau.
--Ah! fit grand-pere.
Mais il ajouta aussitot, pour se dispenser de le plaindre:
--C'etait un ivrogne.
--Pauvre Tem! soupira tante Dine. S'est-il confesse?
--Il n'en a pas eu le loisir. Le mal fut pour lui foudroyant.
--Un alcoolique, reprit grand-pere.
Ma tante continua d'interroger notre hote sur les personnes de notre
connaissance:
--Et Beatrix? et Mimi Pachoux?
--Rassurez-vous, mademoiselle, sur le sort de votre Mimi: il porte
les morts en terre et meme dirige l'equipe des fo
|