ine en secouant la tete, je ne m'en
vais pas. Je fais partie de l'immeuble.
Mon pere lui objecta qu'elle aurait son frere a soigner; l'argument
fut accueilli assez mal:
--Il se soignera bien tout seul. Il se porte comme un charme. Et
d'ailleurs Louise veillera sur lui.
Louise protesta de son desir de rester. On crut qu'elle plaisantait,
car elle avait dit la chose en riant, mais elle insista bel et bien.
Ne pouvait-elle rendre des services, visiter les malades, les garder
meme? N'avait-on pas besoin de toutes les bonnes volontes? Il y eut
entre elle et tante Dine un debat dont la generosite ne m'apparut
point sur le moment. Tante Dine _gongonna_ tant et si fort, qu'elle
obtint gain de cause.
Entraine par l'exemple, je signifiai a mes parents mon intention
formelle de ne pas quitter la ville et d'y jouer aussi mon role. Ce
fut pour affirmer ma personnalite, --ma personnalite de dix-huit ans a
peine, --bien plutot que par bravade de courage. L'idee de la mort ne
m'effleurait pas, ni pour moi, ni pour personne. Je n'apercevais
aucunement le danger. Sans doute mon pere se trouvait le plus expose
par sa profession et par ses fonctions, mais il me paraissait
immortel. Je pensais seulement a me donner de l'importance.
Mon pere m'ecouta patiemment, puis il me repondit que si j'avais
commence mes etudes medicales, comme il l'avait espere, il
n'hesiterait pas, malgre son affection et ses craintes, a m'utiliser,
--ce serait un droit que je pourrais revendiquer; --mais que, m'etant
oriente dans une autre voie, je n'avais aucune raison serieuse de
demeurer dans une atmosphere viciee, sans servir a rien, au risque de
prendre le mal un jour ou l'autre. Il me remerciait de mon offre et ne
l'acceptait pas. La montagne, au contraire, serait favorable a ma
sante qui s'y raffermirait: j'etais un peu delicat, j'en reviendrais
plus vigoureux. Ce calme rejet eut le don de m'exasperer. J'y
decouvrais un insupportable mepris, et je m'obstinai a reclamer un
poste comme si mon honneur etait engage:
--Je regrette infiniment, pere, de ne pas m'incliner dans cette
circonstance; mais j'estime que je dois rester, et je resterai.
Ces paroles me grandissaient. Il me fixa de ses yeux percants et ne
haussa meme pas la voix:
--Je commande dans ma maison avant de commander en ville, mon petit.
C'est un ordre que je te donne: tu partirais demain avec ton grand-
pere, Louise et les deux cadets. J'ai la charge de toute la cite;
nous verrons
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