tant de force, une si riche vitalite, et l'autorite d'un tel
chef, qu'il etait sans doute bien inutile de songer a s'humilier pour
lui donner satisfaction. J'en aurais toujours le loisir, si je le
desirais: plus tard, plus tard.
Grand-pere fourrageait mes jambes pour remettre a flot sa caisse a
violon, et je dus l'y aider. Nous passames sous le chataignier qui
avait abrite --un instant --Nazzarena fugitive, Nazzarena qui riait en
montrant ses dents. Et la maison se perdit en arriere de nous.
Je ne tardai pas a oublier ce mauvais depart dans l'enchantement de ma
vie nouvelle au chalet L'Alpette. Pour la premiere fois j'etais le
maitre absolu de mes jours. Grand-pere n'exercait aucune surveillance.
Il restait volontiers des heures assis sur un banc, devant la facade
la mieux exposee, a se chauffer au soleil en fumant sa pipe. Il ne se
promenait plus que dans le voisinage immediat et gagnait peniblement
sa sapiniere, car ses jambes etaient devenues molles et ne pouvaient
le transporter bien loin. La, il se livrait a son gout favori qui
n'avait pas change et qui etait la chasse aux champignons. Il
poursuivait specialement non sans succes, le bolet tete de negre a qui
l'ombre des pins est propice. Jacquot et son inseparable Nicole
l'accompagnaient et se baissaient a sa place pour ramasser le gibier
qu'il leur designait. Il preferait leur enfance a ma jeunesse et je
n'en etais pas jaloux. Notre intimite de jadis, il ne cherchait pas a
la recreer avec eux. Il evitait toute fatigue, toute conversation qui
eut necessite des raisonnements, des explications. Il se contentait
des petits faits evidents qui ne peuvent se discuter. Moi, je
preferais ma solitude.
Soit qu'elle eut recu des instructions a cet egard, soit par affection
fraternelle, Louise s'occupait de nous jusqu'a l'obsession: elle
aurait voulu se partager pour etre a la fois avec moi et avec les deux
petits. Quand elle se fut rendue compte de la nature pacifique et
banale des propos que tenait grand-pere, elle se tourna vers moi
davantage, souhaitant de devenir ma confidente et de prendre sur moi
un peu d'empire. Elle n'etait que de deux ans mon ainee. Sa conduite
m'emerveillait, car rien, en bas, a la ville, ne la faisait prevoir et
l'altitude la modifiait du tout au tout. Jolie, gaie, insouciante, je
le jugeais peu serieuse et meme un brin fantasque, ce qui n'etait pas
pour me deplaire. Tantot elle se precipitait sur son piano avec une
fureur passionnee, et tan
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