ptaient si peu aupres de ma vie interieure. Quand je
retournais chez moi, aux vacances, mon indifference, ma froideur
surprenaient, contristaient les miens. Ils l'attribuaient, ne pouvant
la comprendre, a de la timidite, de la retenue qui etaient dans mon
caractere, et ils se multipliaient pour me contraindre a rentrer dans
la voie naturelle, ce qui n'aboutissait qu'a m'eloigner davantage. Le
rire de Louise, qui etait maintenant la fleur de la maison, ne me
degelait pas plus que les exhortations martiales et pour moi agacantes
de Bernard en conge. Et quant a mes deux cadets, Nicole et Jacquot, je
leur inspirais une certaine crainte, de sorte qu'ils m'evitaient:
apres les avoir decourages, il ne me restait qu'a me froisser de leurs
mauvaises dispositions et je n'y manquai point. Tante Dine, cherchant
une explication flatteuse de mon changement d'humeur, avait trouve
celle-ci:
--Il est si distingue!
Mon pere, quand il me tenait et qu'il disposait d'un peu de temps,
essayait sous toutes les formes de reprendre avec moi la conversation
que nous avions eue sur la colline du Malpas, le jour des elections.
Il me voyait, avec un secret deplaisir que je sentais et qui, par
esprit de contrariete, m'ancrait dans mon attitude, fermer les yeux
sur tout ce qui appartenait au domaine de l'observation, que ce
fussent l'histoire, le passe, la tradition, les lois, les moeurs,
l'existence pratique et quotidienne, pour me confiner dans les etudes
abstraites, la philosophie, les mathematiques, ou m'absorber plus
completement encore dans la musique, monde imprecis et sans lignes
arretees dont il redoutait les mirages. Atteint par le depart de
Melanie et d'Etienne, par l'absence de Bernard qui n'etait revenu
passer quelques mois a la maison que pour repartir a destination du
Tonkin ou la guerre ne finissait pas, il aurait souhaite de causer
intimement avec moi, de me reprendre, de m'orienter. Je l'ecoutais
courtoisement, je lui repondais a peine, et il ne pouvait se meprendre
a mon silence ou a mon air distant. Il ne cessait de me montrer, dans
toutes les professions, dans tout le cours de l'existence humaine, la
superiorite que distribue une vision nette des realites. Ce qu'il dut
depenser d'intelligence, de tact, de diplomatie meme dans cette
poursuite ou je me derobais sans cesse, je m'en rends compte par le
souvenir. Nicole et Jacquot grandissant nous accompagnaient dans ces
promenades qui me pesaient et m'en rappelaient d'autres plus
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