ticisme ou je
m'etais refugie, je me tenais a l'ecart des hommes; mais, pourvu que
je ne les frequentasse pas, j'etais dispose a leur conceder toutes les
vertus, et meme la logique. Deja le cortege deferlait contre la grille
en chantant: _C'est Rambert, Rambert, Rambert, c'est Rambert qu'il
nous faut!_ N'y avait-il donc qu'un Rambert? Grand-pere, que personne
ne reclamait, s'eloigna et, moi seul, je remarquai son mouvement de
retraite: il dut regagner sa tour et reprendre tranquillement son
telescope; la planete qu'il observait n'avait peut-etre pas encore
atteint le bord de l'horizon. Volontiers je l'aurais suivi. Mon pere,
cependant, m'invitait a regarder, et je voyais sans plaisir cette
masse confuse dont la houle battait le portail et le mur d'enceinte.
On eut dit un long et enorme serpent, une longue et enorme courtiliere
dont le corps occupait toute la largeur de la rue et dont la queue
n'en finissait plus, la-bas, au tournant du chemin. La grille ceda
tout a coup et la bete envahit, comme jadis les bohemiens, la courte
avenue et les plates-bandes. En un instant elle assaillit la maison.
Tante Dine, a cote de moi, etait partagee entre le plaisir de la
popularite qu'elle savourait pour la premiere fois et la defense
instinctive de notre jardin.
Mon pere, afin d'arreter cet elan de la foule, ouvrit la croisee et
fut salue d'une tempete d'applaudissements. Il obtint facilement le
silence, et sa voix sonna comme une cloche d'eglise:
--Mes amis, dit-il, nous ferons ce que nous pourrons pour arreter le
fleau. Comptez sur moi, rentrez chez vous et surtout invoquez le
secours de Dieu.
Invoquer le secours de Dieu! Mais c'etait lui que l'on considerait
comme la Providence. Dans toute cette manifestation il n'y avait que
ma mere qui songeat a prier. Tante Dine buvait les paroles de son
neveu, dont l'eloquence ne me touchait pas. J'aurais souhaite quelque
bel eloge de la science, seule capable de vaincre l'epidemie et
d'eviter la contagion, et de la science mon pere n'avait souffle mot.
Je remarquai alors le nombre de bonnes femmes qui faisaient partie du
defile et dont quelques-unes brandissaient des mioches a bout de bras
comme si elles les offraient a mon pere. Sans doute avait-il parle
pour les bonnes femmes.
Cependant il obtint ce qu'il desirait. La foule, peu a peu, se calma
et commenca de s'ecouler. On repassa le portail, et la belle nuit
d'ete, qu'avaient dechiree tant de cris, lentement reprit sur les
derni
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