e.
--Je ne sais pas, repondis-je en me derobant.
--Ah! reprit-il, etonne et decu. Je croyais que tu voulais etre
medecin.
--Oh! non, declarai-je, subitement decide par mon desir de
contradiction.
Il n'insista pas avantage sur cette succession qu'il avait caressee:
--En somme, tu as le temps de choisir. Avocat peut-etre? on defend de
belles causes. Ou architecte? on batit des maisons, on restaure celles
qui tombent, on construit des ecoles, des eglises. Nous n'avons pas
ici de bons architectes. C'est une place a prendre.
Tout a tour, il vantait les professions qu'il me citait et qui
m'eussent retenu dans ma ville natale. Alors me vint l'idee perfide de
me separer definitivement de la maison, d'achever la conquete de ma
liberte. Je cherchai un etat qui m'obligeat a m'eloigner. Il n'y avait
dans le pays ni mines ni etablissements de metallurgie.
--Je serai ingenieur, affirmai-je.
Je venais de le decouvrir et je savais assez vaguement en quoi cela
consistait. Pour Etienne, on avait agite la question en famille.
--Vraiment? dit mon pere sans insister. Nous en reparlerons.
--Seulement, ajoutai-je la tete basse sans regarder personne, un peu
etonne de vois comme les choses s'enchainaient, seulement il faudrait
une autre preparation que celle du college.
--Ton college ne te suffit pas?
--Oh! ce sont de braves gens, repris-je avec mepris. Mais pour les
etudes, ca n'est guere brillant.
Mon pere fit: ah! sans plus. Relevant les yeux, je constatai sa
surprise qui me fut agreable comme une victoire. Et peut-etre aurais-
je pu decouvrir sur ses traits une autre expression que celle de la
surprise. Je lui fournissais l'occasion de se debarrasser de moi selon
le desir que je lui pretais; pourquoi ne se hatait-il pas d'en
profiter? Il se tourna vers ma mere qui me parut chagrinee:
--Cela demande reflexion, conclut-il.
Comment peut-on, si tot, eprouver une sorte de plaisir a tourmenter
ceux qui nous aiment? La gravure de ma Bible qui represente le retour
de l'enfant prodigue m'avait-elle donc appris les inepuisables
ressources de l'amour paternel? Mon pere me paraissait si fort que je
ne pouvais craindre de lui faire du mal. Dans la vie, ce sont toujours
les memes sur lesquels on s'appuie, dont on use et dont on abuse sans
les laisser respirer, et l'on ne se dit pas qu'ils sentent aussi la
fatigue, car ils ne se plaignent jamais. Et, comptant sur leur sante
et leur energie, on croit que l'on aura toujour
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