s le temps, au besoin,
de leur donner une petite compensation.
La plainte de mon pere, je l'avais pourtant discernee a travers la
porte, et le son altere de sa voix m'en avait livre la profondeur. Je
me demande meme si cette plainte, loin de m'attendrir, ne le diminuait
pas a mes yeux accoutumes a le considerer comme un invincible chef,
n'alterait pas en moi l'image que, des mes premiers regards
intelligents, il y avait deposee.
Les grandes vacances qui suivirent n'apporterent pas, cette annee-la,
leur habituelle diversion de gaiete. Le depart de Melanie pour le
couvent, et celui d'Etienne, si jeune, pour le seminaire, etaient
devenus officiels. Ils attendraient le mois d'octobre: mon pere
conduirait sa fille a Paris en meme temps qu'il me placerait au
college ou mes deux freres aines avaient termine leurs etudes, car
j'avais obtenu gain de cause, et ma mere accompagnerait son fils a
Lyon. Ces nouvelles repandaient sur nos reunions et nos jeux une
teinte de tristesse que les interesses tachaient vainement a
eclaircir. Tante Dine, un peu alourdie, trainait maintenant les pieds
dans l'escalier, se mouchait bruyamment, priait tres fort avec une
certaine violence qui devait secouer les saints dans le paradis, et
marmonnait: que votre volonte soit faite, d'un ton qui ne pouvait
passer pour celui de la soumission. Grand-pere s'enfermait dans sa
tour, jouait du violon en tremblant legerement, ce qui ajoutait des
notes, sortait a la tombee du soir sans prevenir personne, et semblait
vivre dans l'ignorance et dans l'indifference de tous les evenements
de famille. Quand il me rencontrait, il se contentait de cette
exclamation qu'il accompagnait de son petit rire:
--Ah! te voila, toi!
Tandis qu'il n'arretait aucun de mes freres ou soeurs au passage. Mais
ce rire ne sonnait pas franc: mon oreille percevait que notre
separation lui pesait. Je me serais volontiers precipite vers lui s'il
n'avait eu l'air de se moquer de tous les chagrins du monde. L'ombre
de mon pere etait toujours entre nous. Aucune consigne ne m'enjoignait
de l'eviter; notre separation s'accomplissait tacitement. Nous
n'osions pas afficher notre complicite. Un jour cependant il ajouta:
--Alors, tu vas a Paris?
--Oui, grand-pere, a la rentree.
--Tu as de la chance. A Paris, on se sent plus libre qu'ailleurs. Tu
verras.
Se moquait-il encore? Paris, c'etait, pour moi, l'internat, la prison.
Et d'ailleurs, ne m'avait-il pas souvent repete que les gra
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