prendre part au cortege. Le
premier redoutait les effusions, et tante Dine s'excusa aupres de
Melanie: elle ne pouvait pleurer en silence et preferait la solitude
ou l'on peut librement se livrer a son chagrin sans causer
d'esclandre, et ce disant, elle commenca de se lamenter avec bruit.
Je montai avec ma soeur dans la chambre de la tour.
--Au revoir, grand-pere, murmura Melanie.
--Adieu plutot, ma petite.
--Non, grand-pere, au revoir, dans le ciel ou nous irons tous.
Il esquissa un geste vague qui signifiait trop clairement: "Je ne
veux pas contrarier tes illusions", et il ajouta:
--Tu suis ton idee, tu as raison. Donc, au revoir dans la vallee de
Josaphat.
Pour moi, il ne manifesta pas plus d'attendrissement.
--Allons, mon petit: que Paris te soit propice!
Nous sortimes ensemble, les derniers. Melanie embrassa la vieille
Mariette qui murmurait: "Est-il possible?" et franchit le seuil de la
porte. Elle se retourna deux fois vers la maison, et la seconde fit un
signe de croix. Nous entendimes le gemissement de tante Dine enfermee.
A la gare, nous arrivames en avance, et il nous fallut trainer dans la
salle d'attente et sur le quai. Mon pere s'occupait des places et des
bagages. Quelques amis de la famille qui s'etaient deranges pour ces
adieux nous rejoignaient avec des mines affligees et des paroles de
compassion. Nous dumes subir ainsi Mlle Tapinois que je n'imaginais
plus autrement qu'en toilette de nuit et un bougeoir a la main, depuis
que je l'avais reconnue en vieille colombe dans les Scenes de la vie
des animaux, et M. l'abbe Heurtevent qui se voutait et ne predisait
plus que les malheurs depuis la mort de son monarque. Rien ne pouvait
s'accomplir sans que toute la ville s'en melat. Mariages, departs et
morts, le public en exige sa part. Ma mere remerciait avec politesse
ce monde qui la genait bien: elle aurait souhaite d'etre seule avec
sa fille et je voyais qu'elle etait au martyre. Les derniers instants
passes en commun s'enfuyaient. Louise, Nicole et Jacquot formaient une
grappe suspendue a Melanie. Bernard essayait d'animer la conversation,
mais ses plaisanteries faisaient long feu. Quant a Etienne, absorbe,
il songeait sans doute que ce serait bientot son tour, ou bien il
priait.
Lorsque le moment fut venu, ma mere voulut passer apres tous les
autres, et tint sa fille sur sa poitrine sans un mot, puis, rompant
l'etreinte, elle lui glissa tout bas:
--Mon enfant, je te benis.
J
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