oncilies
et c'est l'achevement de cette noble vie. Mais qu'avez-vous, l'abbe?
Plus encore que tante Dine, l'abbe paraissait inconsolable. Grand-
pere, qui de moins en moins manifestait ses opinions politiques depuis
l'affaire des listes electorales, ne put retenir sa langue en cette
occasion:
--Vous ne voyez donc pas que ses propheties l'etouffent. Il songe a
l'abbaye d'Orval et a la soeur Rose-Colombe. Pas moyen de hisser son
jeune prince sur le trone! Le voila qui meurt pour avoir mange trop de
fruits. Et le nouveau pretendant n'est guere plus frais que l'ancien.
--Pere, je vous en supplie! protesta mon pere.
L'abbe effondre et gisant au fond d'un fauteuil redressa tout a coup
les lignes brisees de son corps qui s'allongea demesurement, au point
que l'on put croire qu'il grimpait sur un meuble pour vaticiner, et
d'une voix tonnante il affirma sa foi:
--Le roi est mort. Vive le roi! Et les lis refleuriront.
--Ils refleuriront, repeta tante Dine convaincue.
Paralyse dans sa vie publique, mon pere reportait visiblement sur nos
avenirs ses ambitions: il s'achevait en nos. Seul je m'excluais de sa
sollicitude, mis en defiance depuis les insinuations de Martinod. Sans
peine, je continuais d'accumuler des griefs. Ainsi je me refusais a
tenir mon depart, ce depart qui etait mon oeuvre, pour moins important
que celui de Bernard pour les colonies, d'Etienne pour le seminaire,
ou de Melanie pour le couvent de la rue du Bac ou les Filles de la
Charite passent le temps de leur noviciat. Celui de Melanie surtout me
faisait du tort parce qu'il coincidait avec le mien. Les visites que
l'on rendait a ma mere a l'occasion de l'"holocauste" de ma soeur,
ainsi que s'exprimait Mlle Tapinois, m'exasperaient: il n'y etait
point question de moi, personne ne plaignait mes parents de me perdre,
je passais inapercu, je m'en irais par-dessus le marche. Et grand-pere
lui-meme ne prenait aucune mesure pour me retenir, ou tout au moins
pour me temoigner ses regrets.
Le jour de la separation arriva, un jour gris, pluvieux, conforme a la
tristesse qui pesait sur la maison. La rieuse Louise s'attachait en
pleurant aux pas de Melanie qui ne quittait point ma mere. On disait
des choses insignifiantes. Personne ne prononcait des paroles
appropriees, et le temps avancait. Il fallut se mettre en route pour
la gare. On y songea longtemps a l'avance, ma mere ajoutant a ses
inquietudes celle de l'heure.
Grand-pere ni tante Dine ne devaient
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