ndes villes
sont empoisonnees et qu'il n'y a de bonheur qu'aux champs? Il se
souciait bien peu de logique.
Mon prochain depart, ce depart que j'avais reclame par orgueil et qui
m'inspirait une repulsion contre laquelle je me raidissais, faisait
peu d'effet a la maison, --ce qui m'irritait dans mon amour-propre, -
- et se perdait dans ceux de mes freres et de Melanie, comme un petit
bateau dans le sillage des grands navires. Bernard, sorti de Saint-Cyr
avec un numero de choix qui lui donnait l'infanterie de marine, s'en
irait a Toulon, ou il s'embarquait un peu plus tard pour le Tonkin.
Or, sa premiere parole, a son retour, avait ete celle-ci que je lui
avais entendu dire a tante Dine, accourue en soufflant pour lui ouvrir
la porte:
--On ne peut savoir le plaisir que j'eprouve a tirer le cordon de
cette sonnette.
Alors, pourquoi demandait-il la Chine? Et de meme Etienne et Melanie
echangeaient d'etranges confidences.
--Pourras-tu partir? demandait Etienne a sa soeur. On est si bien ici.
Moi, il y a des jours ou je ne sais plus.
Et Melanie, les yeux illumines, repliquait:
--Il le faut bien, puisque Dieu m'appelle.
Et presque gaiement elle achevait:
--Mais j'emporterai des mouchoirs, au moins une douzaine, parce que je
sens bien que je verserai toutes les larmes de mon corps.
Pourquoi, mais pourquoi donc cette rage de s'en aller quand on se
declare si heureux a la maison? Et moi-meme, pourquoi tant souffrir a
l'avance de la quitter puisque je m'y decouvrais incompris et delaisse
et puisque j'avais resolu de partir?...
Un soir de la fin d'aout, notre ami, l'abbe Heurtevent, vint nous voir
avec une face de careme, si longue et si calamiteuse que nos
attendimes tous l'annonce d'une catastrophe. Ma mere en hate nous
compta:
--Monsieur l'abbe, que se passe-t-il, pour l'amour de Dieu?
--Ah! madame, Monseigneur est mort.
Je fus seul a croire, avec grand-pere, au deces de son superieur
hierarchique. Les autres ne s'y tromperent pas et deplorerent la perte
du comte de Chambord que l'on savait malade de l'estomac depuis
plusieurs jours, ou plutot, au dire de notre abbe, empoisonne par des
fraises. Tante Dine surtout manifesta un desespoir tumultueux, dont
mes soeurs entreprirent de la consoler, et mon pere prononca cette
courte oraison funebre qui me parut manquer de coeur:
--C'est un malheur pour la France, qu'il eut sagement gouvernee. Mgr
le comte de Paris lui succede: les deux princes se sont rec
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