torze ans, surtout quand l'amour y est trop tot venu. Je sentais
l'importance de votre enseignement et cependant je meditais de m'y
soustraire. Moins le terme de liberte etait clair pour moi, plus il me
fascinait et m'attirait. Toute cette musique que j'entendais, c'etait
la sienne...
L'echec de mon pere se traduisit par un geste. Dans son chagrin de ne
pouvoir me reconquerir, il me saisit tout a coup par les deux bras
comme s'il voulait m'enlever de terre et marquer sa possession.
--Mais comprends-moi donc, pauvre petit, me dit-il. Il faut bien que
tu me comprennes. Il y va de ton avenir.
--Pere, vous me faites mal, fut toute ma reponse.
Je mentais, car son etreinte ne m'avait cause que de la surprise. Il
essaya d'en plaisanter:
--Oh! voyons, ce n'est pas vrai. Je ne t'ai fait aucun mal.
--Si, c'est vrai, insistai-je mechamment.
Alors, avec bonte, il s'en excusa presque:
--Je ne l'ai pas voulu.
Ah! je pouvais etre fier de moi! Cette force que je redoutais, elle
m'avait supplie au lieu de me briser: elle ne m'avait pas vaincu.
Sans doute pour ecarter de mon esprit toute facheuse interpretation de
son geste, il me posa la main sur la tete, et bien qu'il n'appuyat
pas, je sentis qu'elle pesait. Quelques annees auparavant, grand-pere
m'avait investi, par la meme imposition, de la propriete de toute la
nature.
--Rentrons, ordonna mon pere. Rentrons a la maison.
Il disait: la maison, comme moi. Jusqu'alors cette expression etait
trop habituelle pour me frapper. Cette fois elle me frappa.
Sur le chemin du retour, nous entendimes les detonations des boites
qu'on tirait en l'honneur des elections.
--Deja! fit-il. La liste Martinod est elue.
La deconvenue de sa vie publique s'ajoutait a sa deception paternelle.
Il inclina le front, mais ce ne fut qu'un instant.
Le clocher d'un village voisin sonna l'Angelus. Un autre, puis un
autre lui repondirent. Ils se transmettaient la serenite du soir et de
la priere qui, par eux, se repandait sur toute la campagne.
Pour les ecouter mieux, mon pere s'arreta, et il sourit. Par ce rappel
apaisant de l'Annonciation Dieu lui parlait, et sans doute il reprit
confiance.
--Marchons vite, me dit-il: ta mere pourrait s'inquieter de notre
retard.
Moi, je songeais:
"Un jour je partirai. Un jour je serai mon maitre, comme grand-pere. "
VII
LE PREMIER DEPART
Peu de jours apres cette promenade manquee, et peut-etre meme le
lendemain, je voulus entrer
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