dans la chambre de ma mere pour y chercher
un livre de classe oublie, et je tournais deja le loquet de la porte,
lorsque j'entendis deux voix. L'une, celle de ma mere, etait familiere
a mon oreille: mais son accent etait presque nouveau pour moi, a
cause de la fermete qui se melait a sa douceur habituelle; petits,
elle nous parlait quelquefois ainsi quand elle exigeait de nous un peu
plus d'attention et de travail pour terminer nos devoirs ou apprendre
nos lecons. Quant a l'autre, elle devait appartenir a un etranger, et
meme a un quemandeur, car elle me parvenait assourdie, voilee,
douloureuse. Quel etait ce visiteur, que ma mere recevait chez elle,
et non au salon? Je n'osais pas ouvrir, ni lacher la poignee que je
tenais et qui, en retombant, eut revele ma presence, et je restai la,
immobilise par ma timidite et ma curiosite ensemble, ecoutant le
dialogue qui s'echangeait.
--Je t'assure que tu te trompes, disait ma mere. Cet enfant traverse
une crise: il n'est pas different de ses freres et soeurs, il n'est
pas eloigne de nous.
--Le fosse est plus profond que tu ne crois, Valentine, repliquait
l'autre voix. Je sens que je le perds. Si tu l'avais vu au Malpas,
comme il se rebiffait, comme il resistait a mes exhortations, presque
a mes objurgations!
--C'est un enfant.
--Un enfant trop avance. Je ne demele pas encore ce qui le separe de
nous: je le saurai. Ah! tu as beau tacher de me tranquilliser, ma
pauvre amie: mon pere a pu achever sa guerison, il y a trois ans, en
le menant au grand air, il ne nous l'a pas rendu tel que nous le lui
avions confie, il lui a change le coeur, et c'est dans l'enfance que
le coeur se fait. Cet enfant n'est plus a nous.
Cet enfant n'est plus a nous: je tirai d'une telle declaration une
sorte de vanite. Je n'etais a personne, j'etais libre. La liberte, que
grand-pere n'avait pu conquerir, meme dans le sang des journees de
Juin, du premier coup m'appartenait.
J'avais reconnu la voix de mon pere, et c'est de moi qu'il etait
question. Mais pourquoi mes parents intervertissaient-ils leurs
attitudes a ce point que j'avais hesite a les reconnaitre? Je les
considerais comme immuables. Ma mere, pour un rien, se tourmentait.
Quand le vent soufflait ou que grondait le tonnerre, meme au loin,
elle ne manquait pas d'allumer la chandelle benite. Son ombre,
derriere la fenetre de sa chambre, annoncait qu'elle guettait le
retour des absents. Elle ne goutait un peu de paix que lorsque nous
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