entra
par la breche le premier, apres quoi il remonta sur son coursier
alezan hisse a l'interieur on ne sait par quel subterfuge. Dans
l'exaltation de la victoire, je mis le feu aux quatre coins de la cite
conquise et, quand je voulus en suspendre les ravages, il etait trop
tard. Une minute apres, l'incendie avait tout consume, et tant de
maisons qui m'avaient coute des semaines et dont l'achevement me
procurait de l'orgueil ne formaient plus qu'un amas de cendres noires.
Encore fus-je severement reprimande pour avoir manque de bruler le
mobilier. Et je demeurai stupide devant la rapidite de cette
incineration comparee au temps exige pour batir.
La fin brusque de ma premiere tendresse --cette pauvre minute ou il me
fut donne de voir Nazzarena dans le soleil --me causa une pareille
deception, un pareil decouragement. Jour apres jour, j'avais edifie en
moi ce sentiment d'abord si vague, et puis si grave et si riche. Sans
cesse j'y ajoutais quelque chose: un sourire, une parole, une
rencontre et meme une moquerie qui venait d'elle; ou bien c'etait
l'admiration pour ses exercices d'ecuyere; ou j'avais seulement passe
sur la place du Marche et vu sa roulotte. Elle remplissait ma vie
beaucoup plus que je ne le soupconnais, et maintenant il ne m'arrivait
plus rien. Ce vide, jusqu'alors inconnu, m'etait plus penible qu'une
veritable douleur. Je tachais de m'y agiter sans aucun succes, car je
n'imaginais pas encore le parti qu'on peut tirer du souvenir. Comment
aurais-je su qu'il est possible de vivre hors de l'instant present? Et
de Nazzarena partie, de Nazzarena perdue pour toujours, ce qui me
restait, c'etait moins sa pensee qu'une langueur repandue en moi par
son depart, langueur ou je me complaisais, ou je la retrouvais encore,
et qui me rendait incapable de m'interesser a quoi que ce fut.
Par elle je fus empeche de preter beaucoup d'attention aux changements
survenus chez moi. Sans efforts je m'en accommodai, et l'on crut a la
facilite de mon humeur. Entre mon pere et mon grand-pere, depuis la
scene de la tour, subsistait un etat de gene que le tact de ma mere,
seul, reussissait a rendre supportable a l'un et a l'autre. Sans une
interdiction formelle, je cessai de me promener avec grand-pere et
meme de monter dans sa chambre. Il s'enfermait pour jouer du violon
une bonne partie de la journee. Quand nous nous retrouvions a table,
il ne cherchait nullement a se rapprocher de moi, comme s'il eut
renonce definitivement a
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