nd-pere j'avais l'impression que les
clotures disparaissaient et que la terre sans entraves appartenais a
tous ou n'appartenait a personne.
Pourquoi mon pere m'imposait-il ce long tete-a-tete qui par avance me
glacait? Les revelations de Martinod ne m'avaient-elles pas appris ses
preferences? Il s'enorgueillissait de Bernard et d'Etienne, il se
preoccupait sans cesse de Melanie, et je surprenais quelquefois ses
regards poses sur elle avec une insistance bizarre, comme s'il ne
l'eut jamais vue ou comme s'il prenait son empreinte; quant a moi, e
ne comptais guere. De toute ma volonte je voulais etre un enfant
incompris, un enfant malheureux, un enfant injustement delaisse. Cela
m'etait necessaire pour entretenir la langueur amoureuse dont je me
delectais. De sorte que je ne partis pas volontiers et le laissai
voir. Lui, au contraire, s'efforcait d'etre gai et, comprenant qu'il
desirait me mettre en confiance, par esprit d'opposition, je me
reservai davantage.
Nous voila sur la route, non point d'un pas lent de flaneurs qui vont
a l'aventure, comme c'etait notre habitude a grand-pere et a moi, mais
d'un pas allegre et vif, comme si une musique militaire nous
precedait.
--En marchant bien, m'expliquait-t-il, nous en aurons pour deux ou
trois heures.
Afin de montrer que cette promenade ne m'interessait nullement, je ne
demandai pas ou nous allions. Ce ne serait surement pas cet endroit
perdu ou l'on foulait des fougeres, ou sur les parois de rochers les
bruyeres s'agrippaient, ou, separe du reste du monde, loin des maisons
et des cultures, au bruit sourd d'une cascade j'avais connu
l'initiation a la nature sauvage.
Dans un village que nous traversames, je me souviens que je donnai un
grand coup de pied dans un tuyau de vieille gouttiere arrachee qui
gisait sur le sol.
Nous eumes aussitot sur nos talons tous les chiens qui se
rassemblerent en hurlant. Un peu effraye de leurs gueules menacantes
et de tout ce vacarme que j'avais provoque, je me rapprochai de mon
rassurant compagnon:
--Laisse-les aboyer, me dit-il. Dans la vie, tu verras, c'est tout
pareil. Des qu'on fait un peu de bruit, tous les chiens se
precipitent. Si l'on se retourne, c'est une lutte ridicule. Le mieux
est de ne pas s'occuper d'eux. Il faut laisser aboyer les chiens.
Comment ai-je compris qu'il s'agissait de Martinod et de sa gifle?
Quand nous fumes hors d'atteinte, j'en voulus a mon pere d'avoir
remarque mon mouvement de peur.
Par u
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