es, puis aux
sommets et aux vallees. Il n'y avait aucun rapport entre son procede
et celui de grand-pere. Ou nous cherchions, grand-pere et moi, la
trace de la nature, fendue par la charrue ou la hache, defrichee et
ecrasee par tous les travaux agricoles, et neanmoins survivante ca et
la dans sa purete primitive, il montrait, au contraire, la constante
intervention de l'homme et le travail superpose des generations. Au
lieu de la terre libre, c'etait la terre disciplinee, contrainte a
servir, a obeir, a produire. Et cette terre avait ete arrosee de sang
dans le passe, traversee par des troupe armees, protegee par la force
contre l'etranger, comme il convient a une marche de France, benie
enfin par des prieres. Un saint meme, un saint populaire qui avait
introduit le miracle dans la vie courante, notre saint Francois de
Sales, s'y etait agenouille pour l'offrir a Dieu. Elle nourrissait les
vivants. En elle reposaient les morts.
Terre feconde, terre glorieuse, terre sacree, il celebra sa triple
noblesse avec tant de clarte que, malgre moi, je le suivais.
--Et la maison, acheva-t-il, ne vois-tu pas la maison?
Je la cherchai sans plaisir et constatai que j'avais perdu l'habitude
d'orienter mon regard de son cote. Il etait pourtant facile de la
decouvrir, au bord de la ville, isolee, avec, en arriere, le beau
domaine rustique par lequel elle rejoignait la campagne.
La parole de mon pere, comme les spirales d'un oiseau qui plane, avait
tournoye sur le pays tout entier. Voici que, resserrant ses cercles,
elle s'abattit soudainement sur notre toit. Et il me detailla la
maison comme les traits d'un visage.
On ne l'avait pas batie d'un seul coup. Elle ne se composait autrefois
que du rez-de-chaussee.
--Tu as bien vu la date sur la plaque de la cheminee, a la cuisine,
1610.
Et je pensai: "ou 1670", pret a repeter comme grand-pere, dont la
reflexion me revint a la memoire: "ca n'a aucune importance." Mais je
n'osai pas risquer tout haut ce commentaire. Un siecle plus tard, nos
ancetres enrichis surelevaient d'un etage, construisaient la tour.
Limitee par la ville, la propriete s'etendait vers la plaine que des
bois occupaient. Et les bois abattus faisaient place au jardin, aux
champs et aux prairies. C'etait une lutte continuelle contre les
difficultes, la fortune et contre des ennemis sans cesse renouveles.
Mon pere croyait donc, lui aussi, aux ils de tante Dine? Pour un peu,
j'aurais souri, mais il ne m'en laissa
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