n bon chemin muletier nous attaquames une colline. Lui,
cependant, a mesure que nous avancions et que nous respirions en
montant un air plus salubre, retrouvait sa belle humeur. C'etait un
beau jour de la fin de mai ou du commencement de juin, deja chaud mais
bien ventile. Dans mon pays le printemps est lent a venir et la
vegetation part tout d'un coup. Elle etait venue la veille peut-etre,
ou l'avant-veille, tant le vert des feuilles etait luisant, l'herbe
grasse, les fleurs brillantes. Nous traversames un bois de chenes, de
fayards et de bouleaux. Les futs blancs des bouleaux, gris et lisses
des fayards, bruns et rugueux des chenes formaient les colonnades d'un
immense temple voute; le ciel ne s'apercevait pas.
--Ah! dit mon pere, en s'arretant pour souffler un peu et en se
decouvrant afin de mieux sentir la fraicheur qui tombait des arbres,
comme il fait bon ici et quelle belle journee!
Je m'etonnai qu'il s'extasiat sur une chose si ordinaire dont j'avais
eu si souvent le profit, sans penser qu'il en avait, lui, rarement
l'occasion. Deja il reprenait:
--C'est terrible d'etre si occupe! On n'a pas le temps de jouir du
soleil et de l'espace, ni de causer autant qu'on le voudrait avec ses
fils. Autrefois, te rappelles-tu, Francois, je te racontais les
combats de l'Iliade et le retour a Ithaque.
Je ne l'avais pas oublie, mais les recits epiques me paraissaient
appartenir a une enfance deja lointaine et depassee. Ils dataient
d'avant cette convalescence qui m'avait change le coeur. Ils dataient
devant mes promenades avec grand-pere, d'avant la liberte et
Nazzarena, d'avant l'amour. Alors je ne m'en souciais plus. Hector se
battait pour garder sa maison, et Ulysse bravait les tempetes pour
rentrer dans la sienne dont il voyait, de la mer, la fumee, et
j'entrevoyais un destin individuel ou je ne dependrais plus de rien ni
de personne.
Nous percames bientot le rideau des arbres et nous atteignimes le
sommet de la colline. Les ruines d'une ancienne forteresse la
couronnaient. A en juger par les pans de murs ecroules ou croulants,
par la hauteur des tours encore debout et tout ajourees, elle avait du
tenir une place considerable. Le lierre et les ronces envahissaient
ses vestiges. Elle subissait le dernier assaut de tous les vegetaux
avides de la recouvrir.
--Les ruines ne me plaisent pas beaucoup, me declara mon pere. Elles
servent a la poesie, mais elles decouragent d'agir. Elles nous
montrent la fin, quand le
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