notre intimite, et je l'estimais un peu
ingrat, m'attribuant un role important pour l'avoir defendu. Les repas
etaient devenus maussades. L'un s'isolait, l'autre s'absorbait dans
ses pensees. Je compris que tous deux, par une entente tacite,
s'etaient retires de la lutte municipale. Personne n'osait parler des
elections qui etaient toutes proches, mais les affiches des murs, que
je lisais sur le parcours de la maison au college, me renseignaient.
Le nom de Martinod y figurait, et de meme celui de Galurin, mais on
avait neglige Verse-a-boire et les deux artistes. Tante Dine, le long
de l'escalier, parlait toute seule d'evenements extraordinaires et de
traitres epouvantables. En somme, Martinod etait parvenu a ses fins:
le candidat qu'il redoutait, le seul qu'il redoutat, s'etait desiste.
Je compris encore que grand-pere n'avait pas repris le chemin du Cafe
des Navigateurs, soit pour observer la treve, soit pour eviter des
sollicitations auxquelles il eut ete sans doute enclin a ceder. En
apprenant qu'on venait d'appeler mon pere au chevet de Cassenave
delirant, il parut tres surpris et meme affecte: donc il n'avait pas
revu ce compagnon.
--Cassenave malade! s'informa-t-il. Il aura trop bu.
A dejeuner, mon pere nous annonca que Cassenave etait mort.
--Je le lui avais predit, assura-t-il. Il y a beau temps qu'il aurait
du renoncer a la bouteille.
--C'etait son gout, opina grand-pere.
C'etait son gout: cela excusait, justifiait toutes les actions, les
bonnes et les mauvaises, et je l'entendais bien ainsi. Je vis aux
levres de mon pere une reponse prete, mais il la retint et se contenta
d'ajouter:
--J'ai prevenu Tem Bossette. Le meme sort l'attend, s'il n'y prend pas
garde. Et il est deja tard pour lui.
--Tous les ivrognes, conclut tante Dine, qui se plaisait aux
generalisations.
Le dimanche des elections vint enfin. Je le reconnus aux placards
multicolores qui garnissaient les facades et a l'affluence plus
nombreuse que je dus traverser pour me rendre a la messe du college.
Personne, a la maison, n'y avait fait la moindre allusion. Apres le
dejeuner qui fut sans entrain, a peine son cafe pris, grand-pere mit
son chapeau et s'empara de sa canne.
--Ou vas-tu? questionna tante Dine.
--A la campagne.
--Du moins as-tu vote?
--Bien sur que non.
--C'est un devoir.
--Oh! ca m'est egal.
--Au fait, tant mieux! ajouta ma tante: tu aurais ete capable de
donner ta voix a ces canailles.
Elle juge
|