dat de l'Empereur...
--Il servait la France. La France passe premiere. Je n'admets pas les
emigres.
--... Et ton grand-oncle Philippe Rambert, le sans-culotte?
--Ne parlons pas de luit: c'est notre honte. Toute famille a une
tradition. La notre, jusqu'a vous, etait simple et belle: Dieu et le
Roi.
--Moi, la liberte me suffit. Je te laisse la tienne, laisse-moi la
mienne, une fois pour toutes.
--Mais je vous repete que la solidarite de notre nom et de notre race
vous oblige. Votre liberte n'est d'ailleurs qu'une chimere. Nous
sommes tous en etat de dependance. Me contraindrez-vous a vous
rappeler que cette dependance, je l'ai acceptee avec toutes ses
charges? La maison meme qui nous abrite et que j'ai sauvee est le
temoignage de notre duree et de notre unite sous le meme toit.
Peu a peu, la conversation devenait une bataille. Mon pere me semblait
si grand et si puissant que d'une chiquenaude il eut ecrase grand-
pere, et pourtant grand-pere lui tenait tete avec sa petite voix
pointue et un air crispe que je ne lui connaissais pas. De les voir
dresses l'un contre l'autre j'eprouvais de la peur et une horrible
gene. Dans ma rebellion nouvelle contre l'autorite, je me sentais de
coeur avec grand-pere. Cette liberte, dont on parlait pour l'attaquer
et la defendre, je lui donnais les traits de Nazzarena qui s'en
allait. Et il me parut que je commettrais une lachete comme, au Cafe
des Navigateurs, Martinod, quand il s'etait decouvert par ordre,
montrant sa face bleme d'epouvante, si je n'intervenais pas en faveur
de mon compagnon, de mon camarade de promenades, de celui qui m'avait
transmis comme un radieux heritage --le seul dont il disposat --son
amour de la nature intacte, de la vie nomade, de l'independance qui
rejette fierement toutes les regles, et peut-etre le gout meme de
l'amour qui, a lui seul, pouvait resumer tout cela. Je ne me
dissimulais pas les risques, je devinais la correction qui suivrait et
cependant je m'avancai, pareil a un petit martyr qui reclame le
supplice:
--Grand-pere est libre, criai-je aussi fort que je pus.
Je crus avoir pousse un cri formidable, et c'est a peine si je
m'entendis moi-meme. Je fus etonne et vexe de n'avoir pas fait plus de
bruit. J'en constatai neanmoins l'effet immediat, qui suffit a ma
satisfaction et ne me rassura point. Mon pere s'etait brusquement
retourne, stupefait de ma presence et de mon audace. Cette fois la
route etait barree, comme au bord du lac, les
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