camarades et moi, a passer dessus, entre deux lames, au risque de
recevoir de l'ecume ou des paquets d'eau. Mais, certains jours plus
mauvais, cette bravade devenait impossible. On disait alors du lac
souleve qu'il fumait. J'eus la sensation que tout a l'heure, ainsi, la
route serait barree.
Du dialogue qui suivit, comment aurai-je oublie un traitre mot? Grand-
pere, doucement et cranement ensemble, a son habitude (il detestait
les scenes et les evitait le plus souvent, mais la couardise d'un
Martinod n'etait pas son fait), se contenta de repondre:
--Je suis libre, je pense.
--Personne n'est libre, reprit mon pere avec une volonte de ne pas
hausser le ton qui m'impressionna jusqu'aux moelles. Nous dependons
tous les uns des autres. Et vous n'ignorez pas que vous vous presentez
contre moi.
Cette fois la riposte de grand-pere fut plus aigre: il ne cederait
pas, il se defendrait. Enfin!
--Je ne me presente contre personne, declara-t-il, je me presente,
voila tout. Et je n'empeche personne de se presenter. Je te le repete,
Michel: chacun est libre d'agir selon son bon plaisir.
Mon pere, avec une eloquence qui peu a peu s'echauffait et qu'il
rompait alors, comme s'il etait determine a ne pas se departir de la
forme la plus respectueuse et luttait sans cesse pour s'y maintenir
contre l'entrainement de sa parole, essaya de le convaincre par toute
une argumentation que meme a distance je crois pouvoir resumer.
Pourquoi cette candidature de la derniere heure quand jamais grand-
pere n'avait songe a jouer un role politique et quand il n'ignorait
point que son fils etait le chef du parti conservateur? Comment n'y
pas reconnaitre une manoeuvre de Martinod, trop heureux de venger son
soufflet et d'annoncer la desagregation de la famille Rambert? Mais on
ne se laissait pas prendre au piege grossier d'un Martinod.
--Enfin, acheva-t-il, nous ne pouvons pas etre candidats l'un contre
l'autre.
Le petit rire de grand-pere accompagna sa reponse:
--Oh! oh! pourquoi pas? Ce sera nouveau et je n'y vois, pour ma part,
aucun inconvenient.
--Mais parce qu'une famille ne peut pas etre divisee.
--Une famille, une famille, tu n'as que ce mot-la a la bouche. Les
individus comptent aussi, je suppose. Et d'ailleurs, pourquoi tes
convictions ne sont-elles pas les miennes, puisque tu es mon fils?
--Vous oubliez que mes convictions sont celles de tous les notres,
jusqu'a votre pere.
--Oui, le pepinieriste. Tu oublies le sol
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