j'en suis. Mais ces hommes-la sont des chenes noueux,
dont l'ecorce repousse. Et toi, poete, belle fleur, j'ai voulu boire ta
rosee. Elle m'a enivree, elle m'a empoisonnee, et, dans un jour de colere,
j'ai cherche un autre poison qui m'a achevee. Tu etais trop suave et trop
subtil, mon cher parfum, pour ne pas t'evaporer chaque fois que mes levres
t'aspiraient. Les beaux arbrisseaux de l'Inde et de la Chine plient sur
une faible tige et se courbent au moindre vent. Ce n'est pas d'eux qu'on
tirera des poutres pour batir des maisons. On s'abreuve de leur nectar, on
s'entete de leur odeur, on s'endort et on meurt."
N'y a-t-il pas la toute l'ivresse d'un amour qui, en echange du don de ses
tresses noires, demandait a Musset et obtenait de lui une meche de ses
cheveux blonds? N'y a-t-il pas le delire de l'etre livre a la frenesie des
sens? Comme Liszt pretendait un soir que Dieu seul meritait d'etre aime,
elle repondit: "C'est possible, mais quand on a aime un homme, il est bien
difficile d'aimer Dieu." Ou bien elle demandait des consultations sur
l'amour, ici et la. Henri Heine lui dit qu'on n'aime qu'avec la tete et
les sens, que le coeur n'est que pour bien peu dans l'amour. Madame Allart
lui declara qu'il faut ruser aupres des hommes et faire semblant de se
facher pour les ramener. Enfin, Sainte-Beuve, qui avait ete mele a toute
cette serie de brouilles et de raccommodements avec Alfred de Musset,
questionne par elle sur ce que c'etait que l'amour, en donna cette
definition exquise: "Ce sont les larmes. Vous pleurez, vous aimez."
Si elle va au theatre, en bousingot, les cheveux coupes, elle se trouve
les yeux cernes, les joues creuses, l'air bete et vieux. Elle admire, au
balcon, dans les loges, "toutes ces femmes blondes, blanches, parees,
couleur de rose, des plumes, des grosses boucles de cheveux, des bouquets,
des epaules nues." Et elle s'ecrie, la vibrante amoureuse: "Voila,
au-dessus de moi, le champ ou Fantasio ira cueillir ses bluets!" Elle
revient longuement, tristement, sur ses souvenirs de Venise, alors que,
separes deja, il lui ecrivait de Paris des lettres palpitantes de
tendresse. "Oh! ces lettres que je n'ai plus, que j'ai tant baisees, tant
arrosees de larmes, tant collees sur mon coeur nu, quand l'autre ne me
voyait pas!" Combien, en effet, il lui est devenu odieux, l'autre, le
Pagello, sur qui elle est prete a reporter la responsabilite de ses fautes
et de ses malheurs! "Cet Italien, vous savez, mon Di
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