ennemis! vous ne connaissez pas Dieu; vous ne savez pas
qu'il n'exauce point les voeux de la haine! Vous aurez beau faire, vous ne
m'oterez pas cette matinee de printemps."
Entendez-la, cette plaideuse qui lutte pour la liberte, pour la possession
de ses enfants, pour le salut de son foyer et la sauvegarde de sa dignite;
ecoutez comme elle celebre le charme et l'allegresse de la nature en fleur:
"Le soleil est en plein sur ma tete; je me suis oublie au bord de la
riviere sur l'arbre renverse qui sert de pont. L'eau courait si limpide
sur son lit de cailloux bleus changeants; il y avait autour des rochers de
la rive tant et de si brillantes petites nageoires de poissons espiegles;
les demoiselles s'envolaient par myriades si transparentes et si diaprees,
que j'ai laisse courir mon esprit avec les insectes, avec l'onde et ses
habitants. Que cette petite gorge est jolie avec sa bordure etroite
d'herbe et de buisson, son torrent rapide et joyeux, avec sa profondeur
mysterieuse et son horizon borne par les lignes douces des guerets
aplanis! comme la traine est coquette et sinueuse! comme le merle propre
et lustre y court silencieusement devant moi a mesure que j'avance."
Quand George Sand ecrivait au Malgache ces pages exquises, en mai 1836,
elle portait depuis pres d'un an le fardeau d'un proces auquel etait
suspendue toute sa tendresse maternelle. Vainement des amis lui avaient
conseille de se resigner et de "se rendre maitresse de la situation en
devenant la maitresse de son mari." Elle repugnait a un rapprochement sans
amour. "Une femme, dit-elle, qui recherche son mari dans le but de
s'emparer de sa volonte, fait quelque chose d'analogue a ce que font les
prostituees pour avoir du pain et les courtisanes pour avoir du luxe." Des
le milieu de 1835, George Sand etait resolue a intenter l'instance en
separation de corps. Ses relations avec Michel (de Bourges), la confiance
qu'il lui inspirait, les soins dont elle l'entoura au cours d'une
bronchite aigue contractee en plaidant devant la Chambre des pairs, ne
firent que l'attacher plus etroitement a son dessein. L'ardent avocat
avait ete condamne par cette juridiction politique a un mois de prison, en
raison de la lettre qu'il avait redigee au nom des accuses d'avril. Il
regagna Bourges, aussitot retabli, et George Sand, apres l'avoir suivi,
alla passer les vacances a Nohant. La vie pour elle y devint impossible.
M. Dudevant etait crible de dettes, incapable de faire face
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