prouves et croyants."
Elle l'invite a se mefier des gens qui ne disputeront pas avant d'accepter
sa direction. Elle-meme est fort indecise en reflechissant aux
consequences d'un tel engagement, et le confesse: "Je m'entendrais
aisement avec lui sur tout ce qui n'est pas le dogme. Mais, la, je
reclamerais une certaine liberte de conscience, et il ne me l'accorderait
pas." S'il echoue, qu'adviendra-t-il de ceux qui aspirent a la religion de
l'ideal? A cette pensee, elle eprouve une grande consternation de coeur et
d'esprit: "Les elements de lumiere et d'education des peuples s'en iront
encore epars, flottant sur une mer capricieuse, echouant sur tous les
rivages, s'y brisant avec douleur, sans avoir pu rien produire. Le seul
pilote qui eut pu les rassembler leur aura retire son appui et les
laissera plus tristes, plus desunis et plus decourages que jamais." Elle
adjure madame d'Agoult et Franz Liszt de determiner Lamennais a bien
connaitre et bien apprecier "l'etendue du mandat que Dieu lui a confie.
Les hommes comme lui, ajoute-t-elle, font les religions et ne les
acceptent pas. C'est la leur devoir. Ils n'appartiennent point au passe.
Ils ont un pas a faire faire a l'humanite. L'humilite d'esprit, le
scrupule, l'orthodoxie sont des vertus de moine que Dieu defend aux
reformateurs."
Elle cede toutefois a l'ascendant du maitre, au prestige du genie, et
collabore au _Monde_, en meme temps qu'elle refuse de travailler dans les
_Debats_. De ce refus elle donne l'explication en une lettre a Jules Janin,
du 15 fevrier 1837: "Je ne vous parle pas des opinions, qui sont choses
sacrees, meme chez une femme, mais seulement de la maniere d'envisager la
question litteraire. Songez que je n'ai pas l'ombre d'esprit, que je suis
lourde, prolixe, emphatique, et que je n'ai aucune des conditions du
journalisme." Comme Jules Janin pouvait s'etonner qu'elle preferat aux
_Debats_, riches et solides, un journal qui ne payait pas ses redacteurs,
elle declare a son correspondant: "Je ne travaille pas dans le _Monde_, je
ne suis l'associee de personne. Associee de l'abbe de Lamennais est un
titre et un honneur qui ne peuvent m'aller. Je suis son devoue serviteur.
Il est si bon et je l'aime tant que je lui donnerai autant de mon sang et
de mon encre qu'il m'en demandera. Mais il ne m'en demandera guere, car il
n'a pas besoin de moi, Dieu merci! Je n'ai pas l'outrecuidance de croire
que je le sens autrement que pour donner, par mon babil frivole,
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