, des haines vigoureuses. Mais elles se sont calmees. Toute furie a
disparu. Cependant, dit-elle, "il y a un froid de mort pour tout ce que je
ne connais pas. J'ai bien peur que ce ne soit la ce qu'on appelle
l'egoisme de la vieillesse." Elle se calomnie, car elle aime ses amis avec
tendresse, avec engouement, avec aveuglement, et elle aspire a se guerir
de ses moments de raideur. Pour cette cure morale, elle compte sur
l'assistance bienveillante de madame d'Agoult et se remet entre ses mains.
"Si nous nous lions davantage, comme je le veux, il faudra que vous
preniez de l'empire sur moi; autrement, je serai toujours desagreable. Si
vous me traitez comme un enfant, je deviendrai bonne, parce que je serai a
l'aise, parce que je ne craindrai pas de tirer a consequence, parce que je
pourrai dire tout ce qu'il y a de plus bete, de plus fou, de plus deplace,
sans avoir honte. Je saurai que vous m'avez _acceptee_... Il faut vous
arranger bien vite pour que je vous aime. Ce sera bien facile. D'abord,
j'aime Franz. Il m'a dit de vous aimer. Il m'a repondu de vous comme de
lui." Puis voici, ce qui est assez rare sous la plume de George Sand, un
melange de coquetterie et de subtilite un peu mievre, avec un impatient
desir de plaire: "La premiere fois que je vous ai vue, je vous ai trouvee
jolie; mais vous etiez froide. La seconde fois, je vous ai dit que je
detestais la noblesse. Je ne savais pas que vous en etiez. Au lieu de me
donner un soufflet, comme je le meritais, vous m'avez parle de votre ame,
comme si vous me connaissiez depuis dix ans. C'etait bien, et j'ai eu tout
de suite envie de vous aimer; mais je ne vous aime pas encore. Ce n'est
pas parce que je ne vous connais pas assez. Je vous connais autant que je
vous connaitrai dans vingt ans. C'est vous qui ne me connaissez pas assez.
Ne sachant si vous pourrez m'aimer, telle que je suis en realite, je ne
veux pas vous aimer encore." Et elle se compare tres modestement a un
porc-epic que frole une main douce et blanche. Elle apprehende de rebuter
les caresses ou simplement la sollicitude. "Ainsi, voyez si vous pouvez
accorder votre coeur a un porc-epic. Je suis capable de tout. Je vous
ferai mille sottises. Je vous marcherai sur les pieds. Je vous repondrai
une grossierete a propos de rien. Je vous reprocherai un defaut que vous
n'avez pas. Je vous supposerai une intention que vous n'aurez jamais eue.
Je vous tournerai le dos. En un mot, je serai insupportable jusqu'a ce que
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