vie soit bonne, parce que nous voulons qu'elle soit feconde. Il faut que
Lazare quitte son fumier, afin que le pauvre ne se rejouisse plus de la
mort du riche. Il faut que tous soient heureux, afin que le bonheur de
quelques-uns ne soit pas criminel et maudit de Dieu. Il faut que le
laboureur, en semant son ble, sache qu'il travaille a l'oeuvre de vie, et
non qu'il se rejouisse de ce que la mort marche a ses cotes. Il faut enfin
que la mort ne soit plus ni le chatiment de la prosperite, ni la
consolation de la detresse. Dieu ne l'a destinee ni a punir, ni a
dedommager de la vie: car il a beni la vie, et la tombe ne doit pas etre
un refuge ou il soit permis d'envoyer ceux qu'on ne veut pas rendre
heureux."
Telle est, chez George Sand, la transition du roman socialiste au roman
champetre. Elle formule d'abord la theorie idealiste, qui se flatte
d'_embellir un peu_ le domaine de l'imagination: "L'art, dit-elle, n'est
pas une etude de la realite positive; c'est une recherche de la verite
ideale"; puis elle se retourne, comme dans un adieu, vers la theorie
socialiste qui lui fut si chere: "Ces richesses qui couvrent le sol, ces
moissons, ces fruits, ces bestiaux orgueilleux qui s'engraissent dans les
longues herbes, sont la propriete de quelques-uns et les instruments de la
fatigue et de l'esclavage du plus grand nombre." Elle ne se resigne pas,
mais elle cesse de s'indigner, et demeure triste et perplexe devant les
deplorables inegalites.
La _Mare au Diable_ n'est guere qu'une promenade nocturne, mais penetree
d'une harmonie suave et d'une sensibilite toute virgilienne. Germain, le
fin laboureur, est veuf et doit se decider a reprendre femme, afin
d'elever ses trois enfants. Son beau-pere lui parle de la Leonard, veuve
d'un Guerin. Il ira docilement la voir au domaine de la Fourche, et, comme
il est homme d'honnetete, on le charge de conduire Marie, fille de la
Guillette, qui se rend en condition, tout aupres, pour faire l'office de
bergere. Germain n'a que vingt-huit ans, et "quoique, selon les idees de
son pays, il passat pour vieux au point de vue du mariage, il etait encore
le plus bel homme de l'endroit." Le teint frais, l'oeil vif et bleu comme
le ciel de mai, la bouche rose, des dents superbes, le corps elegant et
souple comme celui d'un jeune cheval qui n'a pas encore quitte le pre,
--voila prestement dessine le "veuf" auquel est confiee la mission de
mener aux Ormeaux la petite pastoure de seize ans. Marie monte
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