avec le brigand est une autre
circonstance bizarre que personne n'a pretendu expliquer. Le comte
d'Ortosa pretendit bien que je ne pouvais pas appartenir a sa famille;
mais il mourut subitement, et je vecus riche d'un beau sang dont je
remercie celui qui me l'a donne. Je fus elevee a Madrid, a Paris, a
Londres, a Naples, a Vienne, c'est-a-dire pas elevee du tout. Ma mere,
belle et charmante, ne m'a jamais appris que l'art de bien porter la
mantille et le jeu non moins important de l'eventail. Mes filles de
chambre m'ont enseigne la _jota aragonese_ et nos autres danses nationales,
qui ont ete pour moi de grands elements de sante a domicile et de
precoces succes dans le monde... Je vis les amours de ma mere; elle ne
s'en cachait pas beaucoup, et j'etais curieuse. J'en parle parce qu'ils
sont a sa louange, comme vous devez l'entendre. Elle etait plus tendre
qu'ambitieuse, plus spontanee que prevoyante. Sa jeunesse se passa dans
des ivresses toujours suivies de larmes. Elle etait bonne et pleurait
devant moi en me disant: "Embrasse-moi, console ta pauvre mere, qui a du
chagrin!" Pouvait-elle s'imaginer que j'en ignorais la cause?"
Cependant, il est un passage ou les analogies se precisent et semblent
devenir de formelles allusions. Carmen d'Ortosa indique ce qu'elle reve,
ce qu'elle veut etre, ce qu'elle sera. "Ce but normal et logique pour moi,
ce n'est pas l'argent, ce n'est pas l'amour, ce n'est pas le plaisir;
c'est le temple ou ces biens sont des accessoires necessaires, mais
secondaires: c'est un etat libre, brillant, splendide, supreme. Cela se
resume pour moi dans un mot qui me plait: _l'eclat!_ Je veux epouser un
homme riche, beau, jeune, eperdument epris de moi, a jamais soumis a moi,
et portant avec eclat dans le monde un nom tres illustre. Je veux aussi
qu'il ait la puissance, je veux qu'il soit roi, empereur, tout au moins
heritier presomptif ou prince regnant. Tous mes soins s'appliqueront
desormais a le rechercher, et, quand je l'aurai trouve, je suis sure de
m'emparer de lui, mon education est faite."
_Malgretout_ etait publie quelques mois ou plutot quelques semaines avant
la guerre de 1870, et certes, si George Sand avait eu d'aventure la pensee
de prendre la souveraine pour modele, elle eut ete vite desolee d'avoir
atteint celle qui devait tomber du trone, parmi la plus lamentable des
catastrophes nationales. La dynastie allait sombrer, en manquant
d'entrainer la patrie dans sa ruine. Ici, la _Corresp
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