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homme, disait-elle, finit mieux qu'elle n'a commence. Il a toujours eu
plus d'habilete que d'honnetete." De vrai, ils etaient en froid, depuis
certaine scene d'antichambre qui montre Thiers sous un jour plus leger et
George Sand sous un aspect plus farouche qu'on ne serait induit a
l'imaginer. C'etait a un diner de ceremonie, avant la revolution de 1848.
George Sand s'appretait a se retirer et avait envoye Emmanuel Arago
chercher son manteau. "J'etais, raconte-t-elle, tranquillement dans le
vestibule, lorsque survint le petit Thiers. Il se mit aussitot a me parler
avec quelque empressement, je lui repondis de mon mieux; mais tout d'un
coup, je n'ai jamais su pourquoi, voici qu'assez brusquement la fantaisie
lui vint de m'embrasser. Je refusai, bien entendu; il en fut tres
profondement etonne, il me regardait tout ebahi, avec des yeux bien
droles. Lorsque Emmanuel Arago revint, je me mis a rire de bon coeur. Le
petit bonhomme Thiers ne riait pas, par exemple, il semblait tres furieux
et tout deconcerte. Monsieur Thiers Don Juan, voila comme le temps change
les hommes." Peu a peu cependant, devant l'oeuvre accomplie par celui qui
devait etre le liberateur du territoire, George Sand attenue sa
severite."M. Thiers n'est pas l'ideal, ecrit-elle a Edmond Plauchut le 26
mars 1871, il ne fallait pas lui demander de l'etre. Il fallait l'accepter
comme un pont jete entre Paris et la France, entre la Republique et la
reaction." Et, le 6 juillet de la meme annee, dans une lettre a M. Henry
Harrisse: "Je crois a la sincerite, a l'honneur, a la grande intelligence
de M. Thiers et du _noyau modere_ qui joint ses efforts aux
siens."
La politique, au demeurant, la laisse assez indifferente. Elle vit de plus
en plus retiree a Nohant, en famille, avec d'intimes amis, recevant les
visites espacees de quelques grands hommes de lettres. Voici comment
Theophile Gautier racontait la sienne, si nous en croyons le _Journal des
Goncourt_: "A propos, lui demandait-on au diner Magny, vous revenez de
Nohant, est-ce amusant?--Comme un Couvent des freres moraves... Il y avait
Marchal le peintre, Alexandre Dumas fils... On dejeune a dix heures...
Madame Sand arrive avec un air de somnambule et reste endormie tout le
dejeuner... Apres le dejeuner, on va dans le jardin. On joue au cochonnet;
ca la ranime... A trois heures, madame Sand remonte faire de la copie
jusqu'a six heures... Apres diner, elle fait des patiences sans dire un
mot, jusqu'a min
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