e-pourpoint: "Monsieur Cremieux, apprenez-moi toute la litterature
francaise."
Apres une periode saint-simonienne, analogue a celle que traversa
Sainte-Beuve et qu'effleura George Sand, il vecut dans l'intimite de
Lamennais dont il accepta avec enthousiasme la philosophie chretienne, la
foi elargie et le dogmatisme epure. La religion du Christ devenait la
religion d'une humanite superieure, la communion des ames en des croyances
comprehensives et symboliques. Ce fut une des haltes de la pensee mobile
de George Sand, qui aimait a fuir vers de nouveaux horizons. Franz Liszt
lui servit d'intermediaire aupres de Lamennais, dont l'ame foncierement
aimante, mais inquiete, revetait des apparences de sauvagerie. Chez lui,
l'humanitaire cotoyait le misanthrope. Le musicien servit de trait d'union
entre l'apotre et la neophyte. Alfred de Musset ne risquait plus de
projeter sur cette relation tout amicale l'ombre de sa jalousie. George
Sand concut pour Lamennais de la veneration, pour Franz Liszt, partant
pour madame d'Agoult, une sympathie qui s'epancha, de part et d'autre, en
une correspondance chaleureuse.
On a publie bon nombre de lettres adressees par George Sand, non seulement
a Liszt, mais encore a son amie. Or madame d'Agoult, abandonnant mari et
enfant dans un de ces coups de tete familiers a une nature qui se plaisait
au tapage et a la publicite, s'etait refugiee a Geneve. Liszt l'y avait
rejointe. C'etait la, au vrai, le theme de l'un de ces romans ou George
Sand plaidait les droits de l'amour libre contre les entraves conjugales.
Tout aussitot, entre les deux femmes egalement sollicitees par la
litterature, par la vie independante et par un besoin d'emancipation
sociale, se noua ce que M. Rocheblave a denomme "une Amitie
romanesque.[16]" George Sand, aussi spontanee et simple que la comtesse
d'Agoult etait calculee et hautaine, livra son coeur et sa pensee avec sa
prodigalite coutumiere. De Nohant elle envoya a Geneve des lettres
charmantes. Dans celle du 1er novembre 1835, elle donne d'elle-meme une
definition precieuse a retenir: "Imaginez-vous, ma chere amie, que mon
plus grand supplice, c'est la timidite. Vous ne vous en douteriez guere,
n'est-ce pas? Tout le monde me croit l'esprit et le caractere fort
audacieux. On se trompe. J'ai l'esprit indifferent et le caractere
quinteux."
[Note 16: _Revue de Paris_, du 15 decembre 1894.]
Elle explique que l'espece humaine est son ennemie, qu'elle a eu, comme
Alceste
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