nt et sapant la
propriete individuelle, pour lui substituer on ne sait quelle propriete
sociale qui, un demi-siecle plus tard, ne sera pas encore clairement
definie. Il va falloir que la docile eleve de Pierre Leroux depouille, une
a une, toutes ses illusions. Ce sera une mue lente et douloureuse. Nous
retrouvons les angoisses de son coeur et de sa pensee, a travers la
_Correspondance_. Le 30 septembre 1848, elle ecrit a Joseph Mazzini: "La
majorite du peuple francais est aveugle, credule, ignorante, ingrate,
mechante et bete; elle est bourgeoise enfin! Il y a une minorite sublime
dans les villes industrielles." Elle dit vrai; c'est cette minorite qui,
par la bouche d'un ouvrier parisien, prononcait l'heroique parole: "_Nous
avons encore trois mois de misere au service de la Republique_." Mais que
peuvent des devouements epars et indisciplines, en face de la veulerie
generale? George Sand a resume en une formule synthetique la resistance
des uns, l'impuissance des autres: "Les riches ne veulent pas, et les
pauvres ne savent pas."
Durant l'annee 1849, le decouragement s'accentue. A distance, elle
s'evertue a porter sur les evenements et sur les hommes un jugement
impartial. De Ledru-Rollin elle esquisse un portrait ou subsiste a peine
quelque vague trace de son engouement d'autrefois: "Je commence par vous
dire, mande-t-elle a Mazzini le 5 juillet 1849, que j'ai de la sympathie,
de l'amitie meme pour cet homme-la. Il est aimable, expansif, confiant,
brave de sa personne, sensible, chaleureux, desinteresse en fait d'argent.
Mais je crois ne pas me tromper, je crois etre bien sure de mon fait quand
je vous declare, apres cela, que ce n'est point un homme d'action; que
l'amour-propre politique est excessif en lui; qu'il est vain; qu'il aime
le pouvoir et la popularite autant que Lamartine; qu'il est _femme_ dans
la mauvaise acception du mot, c'est-a-dire plein de personnalite, de
depits amoureux et de coquetteries politiques; qu'il est faible, qu'il
n'est pas brave au moral comme au physique; qu'il a un entourage miserable
et qu'il subit des influences mauvaises; qu'il aime la flatterie; qu'il
est d'une legerete impardonnable; enfin, qu'en depit de ses precieuses
qualites, cet homme, entraine par ses incurables defauts, trahira la
veritable cause populaire." Et l'appreciation se resume ainsi: "C'est
l'homme capable de tout, et pourtant c'est un tres honnete homme, mais
c'est un pauvre caractere.
Les preferences de George
|