du fond se retrouvent dans la forme, et
l'auteur en a tres nettement conscience: "Je me sentis derange de l'oasis
austere ou j'aurais voulu oublier et faire oublier a mon lecteur le monde
moderne et la vie presente. Mon propre style, ma phrase me genait. Cette
langue nouvelle ne peignait ni les lieux, ni les figures que j'avais vues
avec mes yeux et comprises avec ma reverie. Il me semblait que je
barbouillais d'huile et de bitume les peintures seches, brillantes, naives
et plates des maitres primitifs, que je cherchais a faire du relief sur
une figure etrusque, que je traduisais Homere en rebus, enfin que je
profanais le nu antique avec des draperies modernes." Or, ce sont
precisement ces imperfections qu'il est precieux de saisir et d'analyser.
On y discerne les tatonnements de George Sand, avant que son genie put
decouvrir et suivre la large voie du roman champetre.
La dedicace de _Jeanne_ est adressee a une humble paysanne, Francoise
Maillant, en des termes d'une touchante delicatesse: "Tu ne sais pas lire,
ma paisible amie, mais ta fille et la mienne ont ete a l'ecole. Quelque
jour, a la veillee d'hiver, pendant que tu fileras ta quenouille, elles te
raconteront cette histoire qui deviendra beaucoup plus jolie en passant
par leurs bouches." Les principales scenes du recit se deroulent a
Toull-Sainte-Croix, sur la frontiere de la Marche. Nous assistons a
l'agonie de Tula, mere de Jeanne, et c'est un emouvant spectacle que la
veillee funebre, sur la pierre d'Ep-Nell. La silhouette de la jeune fille
se detache, immobile et tragique, au-dessus du cadavre: "Peut-etre
s'etait-elle endormie dans l'attitude de la priere. Sa mante grise, dont
le capuchon etait rabattu sur son visage en signe de deuil, lui donnait,
au clair de la lune, l'aspect d'une ombre. Le cure, tout vetu de noir, et
la morte roulee dans son linceul blanc, formaient avec elle un tableau
lugubre. De temps en temps, le feu, contenu sous les amas de debris,
faisait, en petit, l'effet d'une eruption volcanique. Il s'echappait avec
une legere detonation, lancait au loin la paille noircie qui l'avait couve,
et montait en jets de flamme pour s'eteindre au bout de peu d'instants.
Ces lueurs fugitives faisaient alors vaciller tous les objets. La morte
semblait s'agiter sur sa pierre, et Jeanne avait l'air de suivre ses
mouvements, comme pour la bercer dans son dernier sommeil. On entendait au
loin le hennissement de quelques cavales au paturage et les aboiements d
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