ontre de tons criards dans
un tableau; et ce n'est pas ainsi que je peux entrer tout a fait dans la
nature, meme en l'idealisant." Il veut qu'elle raconte une de ces
histoires qu'on a entendues a la veillee, comme si elle avait un Parisien
a sa droite, un paysan a sa gauche, et qu'il fallut parler clairement pour
le premier, naivement pour le second. C'est sur ce patron qu'elle a
excellemment trace l'aventure de _Francois le Champi_, l'enfant trouve, le
batard, abandonne dans les champs, qui, recueilli par Madeleine Blanchet,
s'eprend pour sa mere adoptive d'une mysterieuse et grandissante tendresse.
Ce sentiment equivoque, ou l'affection filiale se mue en inclination
amoureuse, etait delicat a analyser. George Sand s'y complait et devait y
reussir. Elle connaissait les deviations troublantes des sollicitudes et
des caresses qui se croient ou se disent maternelles. Dans Madeleine,
veuve de Cadet Blanchet, elle a mis quelque chose d'elle-meme, un peu de
cette passion ambigue qu'elle eprouva pour Alfred de Musset et Chopin.
Avec le prestige d'un cadre de nature, l'element de vague inceste se
dissipe, et s'evanouit. Nous connivons au secret desir de deux etres, trop
inegaux d'age, mais apparies par le coeur, qui se recherchent et s'adorent
sans oser murmurer l'aveu.
En regard, le roman comporte le personnage inherent et indispensable a
tout bon melodrame, celui du traitre. Ici, c'est une traitresse, la Severe,
faraude commere, qui a deja domine, ruine fou Blanchet, et qui maintenant
porte sa convoitise sur les dix-sept ans du Champi. C'est la sirene, la
Circe de village, dont le chanvreur a la verve conteuse esquisse ainsi le
portrait: "Cette femme-la s'appelait Severe, et son nom n'etait pas bien
ajuste sur elle, car elle n'avait rien de pareil dans son idee. Elle en
savait long pour endormir les gens dont elle voulait voir reluire les ecus
au soleil. On ne peut pas dire qu'elle fut mechante, car elle etait
d'humeur rejouissante et sans souci, mais elle rapportait tout a elle, et
ne se mettait guere en peine du dommage des autres, pourvu qu'elle fut
brave et fetee. Elle avait ete a la mode dans le pays, et, disait-on, elle
avait trouve trop de gens a son gout. Elle etait encore tres belle femme
et tres avenante, vive quoique corpulente, et fraiche comme une guigne."
Comment en vint-elle a s'amouracher du Champi? D'abord, ce fut un jeu, un
badinage: "Si elle le rencontrait dans son grenier ou dans sa cour, elle
lui disai
|