e a aucune des manifestations du renouveau qui penetrait dans les
classes intellectuelles. Elle s'indignait de cet egoisme ploutocratique,
personnifie en Louis-Philippe. Elle aspirait a un reveil de l'esprit
revolutionnaire qui, un demi-siecle plus tot, s'etait affirme avec tant
d'eclat. Selon l'expression qu'elle emploiera dans le _Peche de Monsieur
Antoine_, elle voulait regenerer "l'antique bourgeoisie, cette race
intelligente, vindicative et tetue, qui a eu de si grands jours dans
l'histoire, et qui serait encore si noble, si elle avait tendu la main au
peuple au lieu de le repousser du pied." Et elle ajoutait, pour calmer les
inquietudes des liberaux et des republicains doctrinaires: "Ceux qui
accusent les ecrits socialistes d'incendier les esprits devraient se
rappeler qu'ils ont oublie d'apprendre a lire aux paysans."
Entre les diverses ecoles reformatrices, George Sand cherchait sa voie.
Elle etait hantee, comme toutes les ames fieres, par le reve d'une
humanite meilleure, d'une societe plus juste, qui aidat a reparer les
inegalites de la naissance. Fourier et Victor Considerant proposaient le
phalanstere, Pierre Leroux un vague communisme sentimental, Cabet une
Icarie qui tenait de la republique de Platon et de la cite d'Utopie.
Lamennais, au lendemain de son heroique rupture avec l'Eglise
ultramontaine, ouvrait a la democratie les avenues de l'idealisme chretien
et de la fraternite evangelique. Il concevait un majestueux edifice, fonde
sur les assises du devoir et habite par un peuple de sages.--Toutes ces
doctrines, seduisantes a des degres divers, George Sand les avait
pressenties et eprouvees; elle en avait extrait le suc et la substance.
Elle haissait le "gouvernement infame de Louis-Philippe", elle
stigmatisait le "cancan des prostituees et de la bourgeoisie", elle
entendait avec joie les craquements de l'edifice. Son coeur et sa raison
la conduisaient de Jean-Jacques a Robespierre, et l'incitaient a se
pencher avec sollicitude vers le peuple. De la ses sympathies pour Agricol
Perdiguier, et l'enthousiasme qu'elle apporta, durant toute l'annee 1840,
a ecrire le _Compagnon du Tour de France_. Cette oeuvre, qui suscita
l'admiration parmi le monde de la pensee, repandit la terreur dans la
societe ignorante et cossue, pour qui toute nouveaute est une perturbation
seditieuse. George Sand fut maudite par les gens du bel air, les classes
dirigeantes et le clerge. Elle n'eut garde de s'en emouvoir. "Voila,
dit-el
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