et le charme en
etait si complet, si profond, si divin, que rien ne semblait pouvoir
jamais l'alterer. L'inconnu lui paraissait un etre a part, quelque chose
d'angelique dont l'amour la sanctifiait. Il passa legerement le bout de
ses doigts, plus doux que le tissu d'une fleur, sur les paupieres de
Consuelo, et a l'instant elle se rendormit comme par enchantement. Il
resta eveille cette fois, mais calme en apparence, comme s'il eut ete
invincible, comme si les traits de la tentation n'eussent pu penetrer son
armure. Il veillait en entrainant Consuelo vers des regions inconnues, tel
qu'un archange emportant sous son aile un jeune seraphin aneanti et
consume par le rayonnement de la Divinite."
Le lecteur a devine, mais Consuelo ignore que l'inconnu c'est Albert de
Rudolstadt, sorti de lethargie. Elle est legitimement enlevee par son
epoux. Avec lui, et sous la sympathique protection de cet homme masque,
elle s'initiera a la doctrine des Invisibles, confrerie franc-maconnique.
Ils lui reveleront la trilogie democratique: Liberte, Egalite, Fraternite,
et ils demontreront qu'elle procede de l'Evangile. Leur foi est le deisme
chretien. Ecoutez les questions et les reponses de cette initiation:
"Qu'est-ce que le Christ?--C'est la pensee divine, revelee a
l'humanite.--Cette pensee est-elle tout entiere dans la lettre de
l'Evangile?--Je ne le crois pas; mais je crois qu'elle est tout entiere
dans son esprit." L'interrogatoire de Consuelo satisfait les Invisibles,
qui la felicitent de son courage, de ses talents et des vertus. Elle
recevra, en depit de son sexe, les degres de tous les rites. On le lui
declare solennellement: "L''epouse et l'eleve d'Albert de Rudolstadt est
notre fille, notre soeur et notre egale. Comme Albert, nous professons le
precepte de l'egalite divine de l'homme et de la femme." Avec Consuelo ils
communieront en une sorte de christianisme superieur et epure. Aussi bien
etait-ce alors l'intime religion de George Sand. Elle charge son heroine
d'en esquisser les principaux lineaments: "Le Christ est un homme divin
que nous reverons comme le plus grand philosophe et le plus grand saint
des temps antiques. Nous l'adorons autant qu'il est permis d'adorer le
meilleur et le plus grand des maitres et des martyrs... Mais nous adorons
Dieu en lui, et nous ne commettons pas le crime d'idolatrie. Nous
distinguons la divinite de la revelation de celle du revelateur."
De meme que pour composer _Consuelo_, qui parut en 18
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