43, George Sand avait
etudie les annales religieuses de la Boheme, elle consacra plusieurs mois
a s'assimiler les doctrines des societes secretes, qui forment la
substance de la _Comtesse de Rudolstadt_. Elle ecrit, le 6 juin 1843, a
son fils: "Je suis dans la franc-maconnerie jusqu'aux oreilles; je ne sors
pas du _Kadosh_, du _Rose-Croix_ et du _Sublime Ecossais_. Il va en
resulter un roman des plus mysterieux. Je t'attends pour retrouver les
origines de tout cela dans l'histoire d'Henri Martin, les templiers, etc."
Et la semaine suivante, a madame Marliani: "Dites a Pierre Leroux qu'il
m'a jetee la dans un abime de folies et d'incertitudes, mais que j'y
barbote avec courage, sauf a n'en tirer que des betises. Dites-lui, enfin,
que je l'aime toujours, comme les devotes aiment leur _doux Jesus_." Le 28
novembre 1843, elle avertit Maurice que la _Comtesse de Rudolstadt_, en
cours de publication dans la _Revue Independante_, risque d'etre
interrompue. Il lui sera impossible de fournir du manuscrit pour le numero
du 10 decembre, tellement elle est envahie par la politique et preoccupee
par la fondation d'un journal, l'_Eclaireur de l'Indre_.
En depit de parties attachantes, la _Comtesse de Rudolstadt_ n'egale pas
_Consuelo_. Le denouement tourne au symbole, alors que l'heroique eleve du
Porpora devient reellement l'epouse d'Albert et se voue a rester
cantatrice, pour offrir le spectacle de la vertu sur les planches. Ils
accomplissent a travers l'Europe un infatigable pelerinage: elle,
s'adonnant a son art, lui, annoncant la republique prochaine, plus de
maitres ni d'esclaves, les sacrements a tout le monde, la coupe a tous. Et
Consuelo la Zingara, et Albert le mystique, vont de province en province,
comme des bohemiens, accompagnes de leurs enfants. Ils prophetisent la
renaissance du Beau et l'avenement du Vrai. Ils vont au triomphe ou au
martyre, zelateurs de l'Ideal, precurseurs de la Revolution.
La curiosite artistique, qui anime _Consuelo_ et la _Comtesse de
Rudolstadt_, ne pouvait detacher George Sand des visions de renouveau
social dont sa pensee etait obsedee. Son reve d'un monde regenere et
egalitaire s'epanche dans ses oeuvres, dans _Horace_ qui, en 1841, la
brouilla avec la _Revue des Deux Mondes_, mais surtout dans le _Compagnon
du Tour de France_. Ce premier roman vraiment socialiste fut inspire par
la lecture d'un ouvrage qu'avait compose un simple ouvrier, Agricol
Perdiguier, menuisier au faubourg Saint-Ant
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