e une grande oeuvre l'ensemble de _Jocelyn_." Et George
Sand lui repond, non moins severe: "_Jocelyn_ est, en somme, un mauvais
ouvrage. Pensees communes, sentiment faux, style lache, vers plats et
diffus, sujet rebattu, personnages trainant partout, affectation jointe a
la negligence; mais, au milieu de tout cela, il y a des pages et des
chapitres qui n'existent dans aucune langue et que j'ai relus jusqu'a sept
fois de suite en pleurant comme un ane." La posterite ne retiendra que la
seconde partie de ce jugement. Ane ou non, celui qui a pleure est desarme
et conquis.
A noter aussi cette appreciation d'un Italien que madame d'Agoult
interrogeait sur les celebrites litteraires: "_Conoscete i libri di George
Sand?--Si, Signora_ (ici une moue indefinissable voulant dire a peu pres:
ce n'est pas le Perou) _mi piace di piu..._", je crus entendre Victor Hugo;
pourtant, pour plus de surete, et comme par un pressentiment de la joie
qu'il allait me donner, je lui fis repeter le nom: "_Mi piace molto di piu,
Paul de Kock_." Et madame d'Agoult a beau s'ecrier: "O soleil, voile ta
face! O lune, rougis de honte," on se demande si elle n'a pas eprouve
quelque contentement a informer George Sand qu'on lui prefere Paul de
Kock. N'est-ce pas bien d'une femme, a tout le moins d'une femme de
lettres?
A Paris, le bruit courait que Liszt etait a Geneve, non pas avec madame
d'Agoult, mais avec George Sand. Celle-ci, fort occupee a plaider, trouve
plaisir a leur communiquer ce racontar extravagant, qui circule a travers
la petite ville cancaniere de La Chatre. Elle envie leur sort d'etres
liberes des servitudes mondaines, tandis qu'elle supporte l'inquisition
des curiosites provinciales, et, travailleuse nocturne, elle termine ainsi
sa lettre: "Bonjour! il est six heures du matin. Le rossignol chante, et
l'odeur d'un lilas arrive jusqu'a moi par une mauvaise petite rue
tortueuse, noire et sale." Ce bonjour, elle le leur apporte en personne,
des qu'elle peut sortir de l'antre de la chicane et disposer de trois
cents ecus. Elle part de Nohant, le 28 aout 1836, avec Maurice et Solange,
et passe en Suisse tout le mois de septembre. Son arrivee a Geneve est
plaisante. En descendant de la diligence, elle demande au postillon le
domicile de M. Liszt, en disant que c'est un artiste: l'un veut la
conduire chez un veterinaire, un autre chez un marchand de violons, un
troisieme chez un musicien du theatre.
Ce mois de sejour fut charmant. _Piffoels
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