_ et _Fellows_ s'etaient rejoints
a Chamonix. La troupe joyeuse et folle s'egayait de tout, mais d'abord des
effarements d'Ursule, la servante berrichonne, qui, a Martigny, croyait
etre a la Martinique et tremblait de traverser la mer pour revenir au
pays. La famille _Piffoels_--surnom tire du long nez de George Sand et de
son fils--s'inscrivait ainsi sur un registre d'hotel: _Domicile_, la
nature; _d'ou ils viennent_, de Dieu; _ou ils vont_, au ciel; _lieu de
naissance_, Europe; _qualites_, flaneurs.
Au mois d'octobre, George Sand rentre a Paris, apres avoir touche barre a
Nohant. Elle s'installe a l'Hotel de France, rue Laffitte, ou viennent
egalement habiter Liszt et madame d'Agoult. Les deux femmes ont un salon
commun. Au bout de deux mois de cette cohabitation de phalanstere, George
Sand, fidele a ses preferences pour la campagne, regagne son Berry: elle y
travaille plus a l'aise. Elle etait eblouie, fatiguee du mouvement
intellectuel et mondain ou se complaisait sa tumultueuse amie et ou
tournoyaient toutes les celebrites litteraires de l'epoque: Lamennais,
Henri Heine, Lamartine, Berryer, Pierre Leroux, Eugene Sue, Mickiewicz,
Ballanche, Louis de Ronchaud. C'etait un kaleidoscope, une lanterne
magique.
L'intimite cependant subsistait. A la fin de janvier 1837, madame
d'Agoult--autrement dit, "la Princesse" ou "Mirabelle"--se rendit a
Nohant. Elle y passa plusieurs semaines, amenant derriere elle Franz Liszt
et plusieurs amis, tels que Charles Didier, Alexandre Rey et l'acteur
Bocage. Frederic Chopin, l'emule de Liszt, avait ete invite. Il ne vint
pas.
L'illustre compositeur polonais, alors age de vingt-huit ans--de six ans
plus jeune que George Sand--etait recemment entre en relations avec elle.
Dans quelles conditions? On a peine a le preciser. Il a raconte, et ses
biographes repetent, que ce fut a une soiree chez la comtesse Marliani. Le
comte Wodzinski, dans son livre, _les Trois Romans de Chopin_, a
singulierement dramatise l'aventure: "Toute la journee, il crut entendre
de ces appels mysterieux qui jadis, aux temps de son adolescence, le
faisaient souvent se retourner, au milieu de ses promenades ou de ses
reveries, et qu'il disait etre ses esprits avertisseurs... Le soir, arrive
a la porte de l'hotel Marliani, un tremblement nerveux le secoua; un
instant, il eut l'idee de retourner sur ses pas; puis il depassa le seuil
des salons. Le sort en decidait ainsi." Il ne tarda pas a s'asseoir devant
le piano
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