pas le temps de se faire prouver." Il en attribua, parait-il,
quelques-uns a George Sand, dont elle se defend, sans les preciser. De
vrai, il y avait entre eux une divergence irreductible sur un point
essentiel. Elle revendiquait pour la femme des titres et des droits qu'il
ne voulait, en aucune maniere, conceder. Ils se heurterent, et elle n'en
garda ni froissement ni rancune. S'ils ne se brouillerent pas, selon
l'habituelle issue des enthousiasmes de George Sand, c'est qu'elle ne
ressentit pour lui qu'une tendresse intellectuelle, tout immaterielle.
"J'avais, declare-t-elle dans l'_Histoire de ma Vie_, comme une faiblesse
maternelle pour ce vieillard, que je reconnaissais en meme temps pour un
des peres de mon Eglise, pour une des venerations de mon ame. Par le genie
et la vertu qui rayonnaient en lui, il etait dans mon ciel, sur ma tete.
Par les infirmites de son temperament debile, par ses depits, ses
bouderies, ses susceptibilites, il etait a mes yeux comme un enfant
genereux, mais enfant a qui l'on doit dire de temps en temps: "Prenez
garde, vous allez etre injuste. Ouvrez donc les yeux!"
La communaute des aspirations republicaines les avait rapproches; mais
l'eleve ne tarda pas a alarmer le maitre par l'audace de ses tendances
socialistes. Lamennais ne souhaitait que d'instituer le regne de
l'Evangile dans les consciences. George Sand avait des conceptions plus
hardies et plus hasardeuses. Elle battait en breche l'autorite maritale et
la propriete individuelle. Elle professait deja une sorte de collectivisme
qui ne demandait qu'a devenir gouvernemental. Et Lamennais renoncait a la
suivre. "Apres m'avoir poussee en avant, dit-elle, il a trouve que je
marchais trop vite. Moi, je trouvais qu'il marchait parfois trop lentement
a mon gre. Nous avions raison tous les deux a notre point de vue: moi,
dans mon petit nuage, comme lui dans son grand soleil, car nous etions
egaux, j'ose le dire, en candeur et en bonne volonte. Sur ce terrain-la,
Dieu admet tous les hommes a la meme communion."
Elle avait promis d'ecrire, et elle n'a pas ecrit l'histoire de leurs
petites dissidences; elle voulait le montrer "sous un des aspects de sa
rudesse apostolique, soudainement temperee par sa supreme equite et sa
bonte charmante." Nous savons seulement qu'il exerca sur elle l'action
d'un directeur de conscience, et l'initia a une methode de philosophie
religieuse qui la toucha profondement, "en meme temps, ajoute-t-elle, que
ses adm
|