rien pour t'en preserver, faut-il
prolonger cette honte pour moi et ce supplice pour toi-meme? Mes larmes
t'irritent, ta folle jalousie a tout propos, au milieu de tout cela! Plus
tu perds le droit d'etre jaloux, plus tu le deviens! Cela ressemble a une
punition de Dieu sur ta pauvre tete. Mais mes enfants a moi, oh! mes
enfants, mes enfants, adieu, adieu, malheureux que tu es, mes enfants, mes
enfants!" Dans cette crise de lassitude amoureuse ou d'angoisse maternelle,
elle executa la resolution dont il parlait toujours, sans l'accomplir. Ce
fut elle qui se deroba clandestinement, en brisant la chaine trop lourde.
Le 6 mars, elle ecrit a Jules Boucoiran, complice de son evasion: "Mon ami,
aidez-moi a partir aujourd'hui. Allez au courrier a midi et retenez moi
une place. Puis venez me voir. Je vous dirai ce qu'il faut faire.
Cependant, si je ne peux pas vous le dire, ce qui est fort possible, car
j'aurai bien de la peine a tromper l'inquietude d'Alfred, je vais vous
l'expliquer en quatre mots. Vous arriverez a cinq heures chez moi et, d'un
air empresse et affaire, vous me direz que ma mere vient d'arriver, qu'elle
est tres fatiguee et assez serieusement malade, que sa servante n'est pas
chez elle, qu'elle a besoin de moi tout de suite et qu'il faut que j'y
aille sans differer. Je mettrai mon chapeau, je dirai que je vais revenir
et vous me mettrez en voiture. Venez chercher mon sac de nuit dans la
journee. Il vous sera facile de l'emporter sans qu'on le voie et vous le
porterez au bureau. Adieu, venez tout de suite, si vous pouvez. Mais si
Alfred est a la maison, n'ayez pas l'air d'avoir quelque chose a me dire.
Je sortirai dans la cuisine pour vous parler."
Il en fut comme il etait convenu. Trois jours apres, le 9 mars, elle ecrit
a Boucoiran, de Nohant ou elle va pour la quatrieme fois depuis son retour
de Venise: "J'ai fait ce que je devais faire. La seule chose qui me
tourmente, c'est la sante d'Alfred. Donnez-moi de ses nouvelles, et
racontez-moi, sans y rien changer et sans en rien attenuer, l'indifference,
la colere ou le chagrin qu'il a pu montrer en recevant la nouvelle de mon
depart." Et, dans un autre passage de la meme lettre: "Je vais me mettre a
travailler pour Buloz. Je suis tres calme." Elle n'etait point aussi calme
qu'elle le veut dire; car elle eut une crise hepatique qui lui couvrit
tout le corps de taches et la mit en danger de mort. Puis le travail la
reprit et l'absorba, tandis que Musset cherchait
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