incorruptible, fut a la fois plus elegant, plus doctrinaire et plus
desinteresse. Les opinions de Michel varierent, comme l'importance qu'il
attachait, selon les temps, ou n'attachait pas a son costume. Non
seulement il fut tour a tour Montagnard et Girondin--ce qui serait
excusable--mais les evolutions de sa pensee etaient deconcertantes: il
s'eprenait successivement ou meme simultanement de Babeuf et de
Montesquieu, d'_Obermann_ et de Platon, de la vie monastique et
d'Aristote. C'etaient les soubresauts d'une imagination effervescente,
prompte a s'engouer et a se deprendre. Il etait agite, trepidant,
contradictoire. En cela George Sand le trouvait inquietant. Elle ne
parvenait pas a le suivre et perdait sa trace. "J'etais forcee, dit-elle,
de constater ce que j'avais deja constate ailleurs, c'est que les plus
beaux genies touchent parfois et comme fatalement a l'alienation. Si
Everard n'avait pas ete voue a l'eau sucree pour toute boisson, meme
pendant ses repas, maintes fois je l'aurais cru ivre." Quant aux attaques
d'adversaires acharnes qui lui reprochaient un amour du gain inne chez le
paysan, voici la reponse indignee de George Sand: "O mon frere, on ne peut
pas inventer de plus folle calomnie contre toi que l'accusation de
cupidite. Je voudrais bien que tes ennemis politiques pussent me dire en
quoi l'argent peut etre desirable pour un homme sans vices, sans
fantaisies, et qui n'a ni maitresses, ni cabinet de tableaux, ni
collection de medailles, ni chevaux anglais, ni luxe, ni mollesse d'aucun
genre?" Elle revient sur ce sujet dans l'_Histoire de ma Vie_, alors qu'a
distance, le charme rompu, elle essaie de resumer leurs dissidences et
d'expliquer son refroidissement. A ses enthousiasmes defunts succede une
impitoyable clairvoyance. Elle serait portee, sinon a bruler, tout au
moins a ravaler et a rejeter sans merci ce qu'elle avait adore. Or elle
defend encore, ou plutot elle excuse Michel (de Bourges). "Au milieu,
dit-elle, de ses flottements tumultueux et de ses cataractes d'idees
opposees, Everard nourrissait le ver rongeur de l'ambition. On a dit qu'il
aimait l'argent et l'influence. Je n'ai jamais vu d'etroitesse ni de
laideur dans ses instincts. Quand il se tourmentait d'une perte d'argent,
ou quand il se rejouissait d'un succes de ce genre, c'etait avec l'emotion
legitime d'un malade courageux qui craint la cessation de ses forces, de
son travail, de l'accomplissement de ses devoirs. Pauvre et endette, il
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