e les hommes
heureux qu'a la condition de les rendre barbares." C'est alors que Michel
(de Bourges), presse par ses deux interlocuteurs, exposa son systeme. Ils
etaient sur le pont des Saints-Peres, non loin du chateau brillamment
illumine. Il y avait bal a la cour, tandis que sur le quai trois
reformateurs changeaient la face du monde. "On voyait, dit George Sand, le
reflet des lumieres sur les arbres du jardin des Tuileries. On entendait
le son des instruments qui passait par bouffees dans l'air charge de
parfums printaniers, et que couvrait a chaque instant le roulement des
voitures sur la place du Carrousel. Le quai desert du bord de l'eau, le
silence et l'immobilite qui regnaient sur le pont contrastaient avec ces
rumeurs confuses, avec cet invisible mouvement. J'etais tombee dans la
reverie, je n'ecoutais plus le dialogue entame, je ne me souciais plus de
la question sociale, je jouissais de cette nuit charmante, de ces vagues
melodies, des doux reflets de la lune meles a ceux de la fete royale."
Cependant, parmi les objections stimulantes de Planet, Michel (de Bourges)
deduisait son plan de regeneration sociale, derive de Babeuf ou emprunte a
Jean-Jacques. Et comme George Sand, tiree de sa songerie, alleguait les
droits et les devoirs d'une societe civilisee, le tribun refit a la
moderne la prosopopee de Fabricius. "La civilisation, s'ecria-t-il
courrouce et frappant de sa canne les balustrades sonores du pont; oui,
voila le grand mot des artistes! La civilisation! Moi, je vous dis que
pour rajeunir et renouveler votre societe corrompue, il faut que ce beau
fleuve soit rouge de sang, que ce palais maudit soit reduit en cendres, et
que cette vaste cite ou plongent vos regards, soit une greve nue, ou la
famille du pauvre promenera la charrue et dressera sa chaumiere!"
Tout le discours continua sur ce ton, avec de grands eclats de voix et de
larges gestes qui enveloppaient l'espace et foudroyaient la tyrannie.
George Sand resume ainsi cette harangue d'une austerite lacedemonienne,
qui attestait un usage immodere du _Conciones_ et la lecture assidue de
Plutarque. "Ce fut une declamation horrible et magnifique contre la
perversite des cours, la corruption des grandes villes, l'action
dissolvante et enervante des arts, du luxe, de l'industrie, de la
civilisation en un mot. Ce fut un appel au poignard et a la torche, ce fut
une malediction sur l'impure Jerusalem et des predictions apocalyptiques;
puis, apres ces funeb
|