Il faut plus
de courage pour franchir le seuil de la vie des passions et pour entrer
dans le calme du desespoir que pour avaler la cigue. Oh! mes enfants, vous
ne saurez jamais combien je vous aime. Pourquoi m'avez-vous reveillee, o
mon Dieu, quand je m'etendais avec resignation sur cette couche glacee?
Pourquoi avez-vous fait repasser devant moi ce fantome de mes nuits
brulantes, ange de mort, amour funeste, o mon destin, sous la figure d'un
enfant blond et delicat? Oh! que je t'aime encore, assassin! Que tes
baisers me brulent donc vite, et que je meure consumee! Tu jetteras mes
cendres au vent. Elles feront pousser des fleurs qui te rejouiront."
Voici le paroxysme du mal d'aimer; nous touchons aux ultimes confins de la
passion, tout pres des regions de la folie: "O mes yeux bleus, vous ne me
regarderez plus! Belle tete, je ne te verrai plus t'incliner sur moi et te
voiler d'une douce langueur. Mon petit corps souple et chaud, vous ne vous
etendrez plus sur moi, comme Elisee sur l'enfant mort, pour me ranimer.
Vous ne me toucherez plus la main, comme Jesus a la fille de Jaire, en
disant: "Petite fille, leve toi." Adieu, mes cheveux blonds, adieu, mes
blanches epaules, adieu, tout ce que j'aimais, tout ce qui etait a moi.
J'embrasserai maintenant, dans mes nuits ardentes, le tronc des sapins et
les rochers dans les forets en criant votre nom, et, quand j'aurai reve le
plaisir, je tomberai evanouie sur la terre humide."
A nuit close, en plein jour, elle est en proie u l'idee fixe, elle voit
sans cesse un profil divin, toujours le meme, qui se dessine entre son
oeil et la muraille. Sur les epaules de ses interlocuteurs elle apercoit
une tete qui n'est pas la leur, la tete de l'aime. Cette image la hante,
la possede: "Quelle fievre avez-vous fait passer dans la moelle de mes os,
esprits de la vengeance celeste? Quel mal avais-je fait aux anges du ciel
pour qu'ils descendissent sur moi et pour qu'ils missent en moi, pour
chatiment, un amour de lionne? Pourquoi mon sang s'est-il change en feu et
pourquoi ai-je connu, au moment de mourir, des embrassements plus fougueux
que ceux des hommes? Quelle furie t'anime donc contre moi, toi qui me
pousses du pied dans le cercueil, tandis que ta bouche s'abreuve de mon
corps et de ma chair? Tu veux donc que je me tue? Tu dis que tu me le
defends, et cependant que deviendrai-je loin de toi, si cette flamme
continue a me ronger? Si je ne puis passer une nuit sans crier apres toi
et m
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