ime de Pagello est plus explicite. Quand
elle parla de la necessite de rejoindre ses enfants pour les vacances et
qu'elle lui demanda de l'accompagner, sauf a retourner ensuite a Venise
ensemble, il fut tout deconcerte et sollicita le temps de la reflexion.
"Je compris du coup que j'irais en France et que j'en reviendrais sans
elle; mais je l'aimais au dela de tout, et j'aurais affronte mille
desagrements plutot que de la laisser courir seule un si long voyage." Il
finit par accepter, en specifiant qu'il ne se rendrait pas a Nohant, qu'il
habiterait seul a Paris et completerait dans les hopitaux son instruction
medicale. Ils tomberent d'accord, mais ils avaient compris ce qui allait
les separer. "A partir de ce moment-la, dit Pagello, nos relations se
changerent en amitie, au moins pour elle. Moi, je voulais bien n'etre
qu'un ami, mais je me sentais neanmoins amoureux." Helas! ses soupirs et
ses appels ne seront plus guere entendus.
Le trajet s'effectua par Milan, Domo d'Ossola, le Simplon, Chamonix--ou
ils firent l'excursion de la Mer de Glace--et Geneve. Le 29 juillet, ils
etaient a Milan; le 10 aout, ils arrivaient a Paris. "A mesure que nous
avancions, dit Pagello, nos relations devenaient plus circonspectes et
plus froides. Je souffrais beaucoup, mais je faisais mille efforts pour le
cacher. George Sand etait un peu melancolique et beaucoup plus
independante de moi. Je voyais douloureusement en elle une actrice assez
coutumiere de telles farces, et le voile qui me bandait les yeux
commencait a s'eclaircir." Pagello, qui semble avoir eu l'esprit porte au
sentiment plutot qu'a la geographie, raconte qu'ils allerent de Geneve a
Paris par le Dauphine et la Champagne: on a peine a croire que la
diligence ait suivi cet itineraire fantaisiste. En descendant de voiture,
George Sand, attendue par le fidele Boucoiran, gagna son appartement du
quai Malaquais, et Pagello, tout depayse, alla occuper, a l'hotel
d'Orleans, rue des Petits-Augustins, une chambrette du troisieme etage a 1
fr. 50. Pauvre Pietro, les jours sombres commencent. A Venise, il avait
supplante Alfred de Musset. A Paris, il va etre evince par lui. Juste
revanche. Pagello n'etait pas un article d'exportation. Tels ces fruits
qui demandent a etre consommes sur place et supportent mal le voyage.
CHAPITRE XIV
RETOUR A ALFRED DE MUSSET
A peine arrivee a Paris, George Sand se trouva dans la situation la plus
fausse entre Pagello qu'elle avait amene,
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