l avait fait le voyage d'Italie; mais surtout
compagnon de plaisir de Musset et grand amateur de vin de Chypre dont il
se faisait envoyer chaque annee un tonnelet. Voici la lettre decouragee
que Pagello lui adresse, le 6 septembre:
"Mon cher Alfred, votre pauvre ami est a Paris. Je suis alle chez vous
demander de vos nouvelles; on m'a dit que vous etiez a la campagne. Si
j'avais eu le temps, je serais alle vous donner un baiser, mais comme je
suis ici pour peu, je vous l'envoie par cette feuille. Je ne sais combien
de jours encore je resterai a Paris. Vous savez que je suis oblige d'obeir
a ma petite bourse, et celle-ci me commande deja le depart. Adieu. Si je
puis vous voir a Paris, je serai heureux; si je ne puis, envoyez-moi un
baiser, vous aussi, sur un petit bout de papier. Hotel d'Orleans, n deg. 17,
rue des Petits-Augustins. Adieu, mon bon, mon sincere ami, adieu, votre
tres affectionne ami,
Pietro PAGELLO."
Le Venitien deracine prenait ses repas dans une pension tenue par un
compatriote, Burnharda, hotelier a Paris depuis trente-trois ans; mais
souvent aussi, oblige d'etre econome, il allait au Jardin des Plantes
manger un pain et quelques fruits, au sortir de la clinique de Velpeau.
George Sand, avant de partir pour Nohant, s'etait bornee a lui donner
quelques recommandations dans le monde medical. Or le malheureux, isole,
sans ressources, sans relations, parlant a peine notre langue, menait une
vie de delaissement et de misere, inconsolable d'un injurieux abandon qui
succedait a la passion la plus enflammee. "Il me semble, ecrivait-il a son
pere le 18 aout, etre un oiseau etranger jete dans une tempete." Et plus
loin: "Si quelqu'un a toutes raisons de se jeter a la Seine, c'est moi!"
George Sand, sur le point de quitter Paris, avait du affronter une
explication orageuse avec Pagello. Nous en trouvons l'echo dans la lettre
qu'elle adresse de Nohant a Alfred de Musset, au commencement de
septembre. Elle reve,_pour eux trois_, un amour de l'ame ou les sens ne
seraient rien. Mais ni le poete ni le medecin ne veulent s'en accommoder.
"Eh bien! s'ecrie-t-elle, voila que tu t'egares, et lui aussi. Oui,
lui-meme, qui dans son parler italien est plein d'images et de
protestations qui paraitraient exagerees si on les traduisait mot a mot,
lui qui, selon l'usage de la-bas, embrasse ses amis presque sur la bouche,
et cela sans y entendre malice, le brave et pur garcon qu'il est, lui qui
tutoie la belle Cressini san
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